Note de lecture

« Globalisation, Le pire est à venir ».

Présentation sous forme d’une note de lecture de l’ouvrage de Patrick Artus et Marie-Paule Virard, paru aux éditions La Découverte , 2008, 165 pages

20 octobre 2009
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Hecquet Vincent

Economiste et administrateur de l’Insee. Il a notamment été en poste au service de la Zone franc de la Banque de France (1998-2000) puis a dirigé les études de l’Insee en Picardie (2000-2004) et aux Antilles-Guyane (2004-2008).
Ses principales études portent sur les tissus industriels français, l’impact de la dévaluation du franc CFA, les économies d’outre-mer.

Présentation sous forme d’une note de lecture de l’ouvrage de Patrick Artus et Marie-Paule Virard, paru aux éditions La Découverte , 2008, 165 pages

Cet ouvrage analyse les déséquilibres de l’économie mondiale depuis la crise du crédit hypothécaire américain survenue à l’été 2007. Les auteurs montrent que si globalisation a généré pendant une dizaine d’années une croissance vive et générale, c’est à présent que commencent à se manifester les bouleversements qu’elle entraîne, et notamment le recentrage économique du monde vers l’Asie.

C’est également maintenant que se révèlent les tendances insoutenables de ces dernières années. Plusieurs pistes sont avancées pour faire face à la crise : elles supposent que, par delà la coordination des politiques monétaires ou budgétaires, les pays travaillent à réduire les déséquilibres structurels, à gérer ensemble les ressources et biens publics mondiaux.

 Un processus qui accroît les inégalités au sein des pays riches

Depuis le début des années quatre-vingt dix, la mondialisation a permis une très vive croissance mondiale : celle-ci a atteint 5 % en moyenne annuelle entre 2004 et 2007. L’expansion en Asie s’est accompagnée d’un recul de la pauvreté au niveau mondial, en termes relatifs comme absolus [1]. Une recomposition s’opère entre les pays et les régions économiques. En 2007, la Chine a dépassé l’Allemagne par son PIB et figure désormais au troisième rang selon ce critère, derrière les États-Unis et le Japon. Toutefois, ces évolutions accentuent les inégalités de patrimoine et de revenu au sein des pays développés. Tandis que les plus qualifiés bénéficient des opportunités de la mondialisation et des besoins de compétences, de plus en plus de travailleurs occidentaux se trouvent exposés à la concurrence de la main d’œuvre des pays émergents. Actualisant les travaux de Thomas Piketty, Camille Landais a montré l’explosion des revenus des Français les plus riches : par exemple, de 1998 à 2005, les 1 % de salariés les mieux rémunérés ont vu leur salaire augmenter de 19 %, contre une progression d’ensemble de 4,5 %. Pour les 0,01 % de salariés les plus riches, la progression est de 43 % !

 Des tendances insoutenables du point de vue de l’environnement et des ressources naturelles

La croissance observée jusqu’en 2007 était insoutenable sur le plan des besoins en matières premières et des pressions exercées sur l’environnement. La Chine enregistrait des rythmes de croissance de l’ordre de 13 % par an. La poursuite d’une telle trajectoire permettrait de rattraper le niveau de vie occidental à l’horizon 2025 et correspond à l’objectif que se sont assignés les dirigeants de Pékin. Toutefois, ce chemin se heurte à des limites physiques. La Chine consomme déjà de 18 % à 50 % des différents métaux utilisés dans le monde et cette consommation augmente, comme sa production industrielle, de 17 % par an. Ses émissions de carbone viennent de rattraper celles des États-Unis et représentent le double de la Zone euro. Pour poursuivre leur croissance, les autres pays émergents devraient eux-aussi accroitre leurs consommations de matières premières comme leurs émissions de carbone. Une série d’événements récents atteste de la concurrence accrue pour l’accès aux ressources : pics des denrées alimentaires et émeutes de la faim à l’été 2008, acquisitions par les fonds souverains, achats de terre agricole dans des pays en développement… Les conflits ne pourront être évités que si les pays apprennent à gérer ensemble la rareté et les biens publics mondiaux autour d’objectifs partagés. L’adhésion des États-Unis et de la Chine au Protocole de Kyoto en est une condition essentielle.

 À l’origine de la crise financière, l’explosion de la liquidité mondiale

La crise actuelle est une conséquence du gonflement immaîtrisé de la liquidité mondiale au cours de ces dernières années. De 2002 à 2007, la base monétaire s’est accrue chaque année de plus de 10 % [2]. Elle représente 18,5 % du PIB mondial fin 2008, contre 6,7 % en 1990. Les banques centrales des pays développés ont mené des politiques trop expansionnistes, cherchant à prévenir tout ralentissement. Surtout, l’expansion de la liquidité mondiale tient à la solidarité de fait entre la Chine et les États-Unis qui s’appliquent à éviter l’effondrement du dollar en dépit du gigantesque déficit courant américain. Celui-ci est financé presque en totalité par l’achat de titres d’État par les banques centrales des pays émergents, qui accroissent leur base monétaire en contrepartie de ces acquisitions [3]. Conformément à la théorie économique, cette abondance de liquidité permet un faible niveau de taux d’intérêt mais génère périodiquement des booms sur les marchés d’actifs : immobilier (de 2002 à 2007), actions (de 1996 à 2000 puis de 2004 à 2007), matières premières (début 2008). Ces bulles ont un effet bien plus grave que n’en avait l’inflation, car elles entraînent des faillites et peuvent s’étendre à d’autres marchés. Le gonflement de la liquidité entraîne des bulles toujours plus fortes avec un effet de moins en moins favorable pour la croissance : ceci est parfaitement illustré par le cas du Japon, où la banque centrale ne parvient plus à relancer l’activité en dépit de l’ampleur de ses réserves qui s’élèvent à 40 % du PIB ! Pour sortir de cette spirale, il conviendrait que les banques centrales reprennent progressivement la liquidité injectée. La solution est toutefois délicate et douloureuse, car elle implique un rééquilibrage des taux d’épargne, et donc des décisions politiques touchant au financement de la protection sociale et des investissements publics. Ceci implique concrètement que les États-Unis cessent de financer leur croissance à crédit, que la Chine se dote d’une protection sociale, que la Russie investisse dans la santé et l’entretien de ses infrastructures. En 2007, le taux d’épargne des ménages n’était que de 1 % aux États-Unis, tandis qu’en Chine, faute de protection sociale, il s’élevait à 54 % !

 Une crise démultipliée par les innovations financières et les exigences de rendement

Si la crise actuelle est si profonde, c’est que le comportement des investisseurs et les innovations financières ont démultiplié les vecteurs de contagion entre les marchés. La plupart des investisseurs affichaient jusqu’en 2007 des ratios de rentabilité très élevés - de 15 % à 20 % par an pour les sociétés financières ou le rendement des fonds propres des firmes cotées en bourse - quand le rendement des placements sans risques est de l’ordre de 5%. Ces bénéfices démesurés n’ont été possibles que par un recours croissant à l’endettement dans des opérations jouant sur l’effet de levier : prêts immobiliers à des ménages de moins en moins solvables, rachats d’entreprises sous forme de LBO [4]. Afin d’améliorer la rentabilité au profit des actionnaires, les entreprises ont massivement racheté leurs propres actions, pour un montant qui s’est élevé aux États-Unis à 7 % du PIB en 2007. Les autorités avaient certes imposé de nouvelles normes prudentielles pour limiter les ratios d’endettement (normes Bâle II pour les banques, Solvency II pour les investisseurs institutionnels) mais ces dispositifs ont été contournés par le recours à des fonds ou agences domiciliées dans des centres off-shore. L’évaluation marked to market, qui visait à rendre les comptes plus transparents, a propagé la crise par une série de réactions en chaîne. En septembre 2007, deux économistes américains, Tobias Adrian et Hyun Song Shin, ont mis en évidence l’extrême brutalité de la contagion de la crise financière. Le marché des prêts hypothécaires à risques, dont tout est parti, ne pèse qu’un encours d’environ un seizième de la capitalisation boursière des États-Unis, et les pertes qui y seront finalement constatées ne dépasseront probablement pas l’impact qu’aurait eu une baisse de 2 % des cours de la bourse américaine. La chute des bourses, les défaillances bancaires et l’ensemble de la crise auront été générés par l’enchainement de dépréciations à l’ensemble des marchés, qui se révèlent auto-réalisatrices. Dans le cadre de la réforme du système financier, une priorité serait d’étendre la réglementation à l’ensemble des places financières. Afin de lutter contre l’aléa moral, des techniques analogues à celles utilisées dans l’assurance pourraient être développées, comme de pénaliser les banques qui font défaut par un système de franchise. Certains marchés ont pris une trop grande importance au regard de leur rôle dans le financement de la croissance (immobilier, dérivés de crédit, marchés à terme). Les autorités pourraient se fixer comme objectif d’inciter les investisseurs à revenir vers des actifs d’entreprises ou le financement d’infrastructures utiles.

 Entre pays européens, des modèles productifs de plus en plus divergents

L’Europe est particulièrement mal placée face à ces déséquilibres et plus largement face à la globalisation. Faute de gouvernement économique, de fédéralisme fiscal et social, de mobilité entre les pays qui composent, elle se révèle incapable de trouver en elle-même ses ressorts de croissance. En réponse à la concurrence des pays émergents, l’Allemagne et les autres pays ont mis en œuvre des politiques très différentes. L’Allemagne a restauré la compétitivité de son industrie par une montée en gamme, un bon positionnement et au prix d’une forte modération salariale. A l’inverse, en France et dans les autres pays, la croissance a été tirée par la consommation intérieure tandis que l’emploi se réorientait vers la construction et les activités tertiaires. La divergence est manifeste sur une dizaine d’années. En 1999, la part des exportations dans le PIB était assez proche entre la France (26 %) et l’Allemagne (30 %). Désormais, les exportations représentent 30 % du PIB en France contre près de 50 % en Allemagne. Certes, la France est ainsi moins exposée aux évolutions du commerce international et devrait être de ce fait moins touchée par le recul de 2009. Toutefois, une trop forte spécialisation dans les secteurs tertiaires est facteur à terme d’appauvrissement, ces activités ayant une moindre productivité que l’industrie. Comme les structures, les intérêts économiques diffèrent de plus en plus. Loin de progresser vers une zone économique unifiée, l’Union européenne connaît au contraire une fracture croissante entre ses modèles productifs nationaux. Le besoin est urgent d’initiatives pour une meilleure gouvernance collective si l’Europe veut rester actrice, et non spectatrice, de son développement.

La crise actuelle révèle avec éclat les tendances insoutenables de ces dernières années. Leur prolongement mènerait probablement le monde à un équilibre de stagflation, ponctué de crises à répétitions. Sans gestion commune des ressources rares, l’insuffisance des matières premières relancerait l’inflation et entraverait la croissance. Sans diminution de la liquidité mondiale, les bulles se succéderaient et les politiques économiques deviendraient de moins en moins efficaces. Les réponses sont identifiées. Elles supposent qu’une nouvelle coordination internationale se mette en place rapidement pour gérer collectivement les ressources rares et les conséquences de la nouvelle spécialisation productive. De ce point de vue, concluent les auteurs, « la civilisation - mot fétiche du moment- de la globalisation reste à inventer ».

Vincent Hecquet


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N 102 FL Hecquet


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4.1- Modèles de développement

Notes

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[1De 1990 à 2001, la population mondiale s’est accrue d’un milliard, mais le nombre de pauvres au seuil de 1 dollar par jour a diminué de 130 millions (rapport Sachs, 2005).

[2Il s’agit de l’encours de liquidités créé par les banques centrales en échange de l’accumulation d’actifs dans leur bilan.

[3Prenons l’exemple des exportateurs chinois qui recouvrent des paiements en dollar. Sans intervention des banques centrales, ils revendraient ces dollars sur le marché des changes et le dollar baisserait. Pour éviter ceci, la banque centrale chinoise crée de sa propre monnaie pour racheter les dollars. Avec ceux-ci, elle rachète des actifs, essentiellement des obligations publiques américaines qu’elle place dans ses réserves. Il y a création monétaire en contrepartie d’une accumulation d’actifs par la banque centrale chinoise.

[4Leverage buy-out. Selon ce montage, un fonds rachète une entreprise par l’émission d’une dette qui sera remboursée grâce aux bénéfices de la société rachetée.

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