Résumé
La gestion des déchets a longtemps été considérée comme « facile » par les officiels du nucléaire (CEA, EDF puis Cogéma et enfin ANDRA et AREVA)
Depuis le tout début du nucléaire (années 1950-1960) le traitement des déchets a toujours été repoussé : le moment venu, on trouvera la solution, affirmaient les instances. L’ampleur du problème n’a été reconnue qu’en 1991 (première loi déchets portant seulement sur ceux issus du fonctionnement des réacteurs), puis vraiment admise avec la loi de 2006, prenant en compte tous les déchets. Cette loi institue aussi le suivi des filières de traitement de tous les déchets (réacteurs, mines, médecine, utilisation industrielle, ..) par un Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs. Elle conforte la Commission Nationale d’Evaluation de 1991 dans son rôle d’aiguillon des acteurs du nucléaire. Elle crée le Haut Comité sur la transparence et l’Information sur la sécurité nucléaire, lui permet d’obtenir l’ouverture des dossiers, de garantir leur suivi par les citoyens grâce à des conférence-débat.
L’article se propose faire un état des lieux des différentes filières de gestion des déchets et d’esquisser des propositions.
Plusieurs constats peuvent être faits :
- le manque d’une estimation des quantités de déchets attendus dans le cadre d’un plan énergétique donnant leur place aux énergies renouvelables,
- la non prise en compte du problème des déchets anciens,
- les risques liés à la transmutation (usines très radioactives),
- la composante militaire du nucléaire qui le rend incontrôlable,
- le fait que le nucléaire, reposant sur un minerai, ne peut-être qu’une transition qu’il conviendrait d’arrêter le plus vite possible.
L’article de Monique Sené, solidement argumenté sur le plan technique, peut être classé parmi les articles d’opinion.
Auteur·e
Physicienne, Monique Sené a été chercheuse au CNRS en physique nucléaire et physique des particules. Elle est co-fondatrice et Présidente du Groupement de Scientifiques pour l’Information l’énergie Nucléaire (GSIEN) qui publie La Gazette nucléaire, revue d’information sur les programmes énergétiques et qui est sollicité pour mener des études sur la sûreté des différentes installations nucléaires françaises.
Elle a signé de nombreuses publications sur ces thèmes.
Quand la France a choisi de développer la filière nucléaire pour produire de l’électricité, la gestion et le stockage des déchets générés par cette activité, ont commencé à poser problème. De l’extraction du minerai d’uranium à la fabrication de produits dont les usages vont du militaire à la santé (imagerie nucléaire) en passant par l’uranium enrichi, de la production d’électricité au démantèlement des centrales fermées, la filière industrielle produit des déchets, la plupart radioactifs. Ceux-ci, sans utilité immédiate dans d’autres processus, sont dangereux pour la santé humaine en raison des contaminations qu’ils peuvent provoquer. Ils restent actifs pendant des périodes qui, pour certains, dépassent le siècle, voire des millénaires. Il faut donc gérer l’entreposage et le stockage des matières dangereuses en fonction de leur rayonnement, et les surveiller sur des périodes très longues. Cette surveillance implique évidemment les générations futures.
Le nucléaire est né « militaire », avec les réacteurs plutonigènes de Marcoule G1(1956-1968), G2 (1958-1980), G3 (1960-1984). Parallèlement les applications civiles ont été expérimentées à Chinon (37) dès 1957 par le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) toujours avec la filière Uranium Naturel Graphite Gaz (UNGG). En 1963, la première centrale à combustible nucléaire a donc été mise en service à Chinon (1963-1973).
Radioactivité ◦ La radioactivité est un phénomène physique naturel au cours duquel des noyaux atomiques instables, dits radio-isotopes, se transforment spontanément en éléments plus stables ayant perdu une partie de leur masse. Ils dégagent alors de l’énergie sous forme de rayonnements divers (rayons a, ß ou ?) {{}} |
Dans les années 1970, la commission Production d’Electricité d’Origine Nucléaire (PEON) composée des industriels du nucléaire, du CEA et de membres de la haute fonction publique, a recommandé de lancer un plan ambitieux de construction de réacteurs, type REP (Réacteur à Eau légère Pressurisée). Et, en 1974, suivant ces recommandations, le plan Messmer a engagé la France dans la construction de centrales (200 réacteurs prévus, dont 50 Superphénix en l’an 2000).
Surdimensionné et coûteux, ce plan n’a pas été entièrement réalisé. 58 réacteurs ont cependant été construits. Il existe 19 sites de réacteurs en France, imposés aux Français sans aucune consultation démocratique. Sur ces sites. 14 réacteurs (sur 5 sites) ont été stoppés. Se pose aujourd’hui la question de leur démantèlement et du devenir de leurs déchets radioactifs.
Quarante-cinq réacteurs, soit les trois quarts du parc, ont été mis en service entre 1979 et 1990, et treize réacteurs entre 1990 et 2000. Selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en décembre 2008, la moyenne d’âge des réacteurs, calculée à partir des dates de leur première « divergence », se répartit comme suit : 27 ans pour les trente-quatre réacteurs de 900 MWe – 21 ans pour les vingt réacteurs de 1300 MWe – 11 ans pour les quatre réacteurs de 1450 MWe.
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Radioactivité et santé Connus depuis le début du XXe siècle, les effets cancérigènes de la radioactivité ont été précisés tant par les études réalisées à partir de l’observation de personnes irradiées à Hiroshima et Nagasaki en 1945 ou autour de Tchernobyl (l’apparition de cancers de la thyroïde de l’enfant est liée au rejet des iodes radioactifs), que par le suivi médical des travailleurs de la filière (mineurs, personnels des centrales, personnels des centres de traitement). Plusieurs types de cancers ont été observés (leucémies, cancers broncho-pulmonaires primitifs par inhalation de radon et sarcomes osseux). D’autres travaux ont permis de repérer une augmentation statistiquement significative des cancers secondaires imputables aux rayonnements ionisants chez les patients traités par radiothérapie. De plus, s’il est certain que les fortes doses de radioactivité sont nocives pour l’être humain, des études récentes en radioprotection ont conduit à s’intéresser à l’effet des faibles doses. En particulier il faut s’attarder sur la contamination chronique et faible. Les effets de cette contamination semblent être plus importants que prévus et surtout se traduire par des effets sur le système nerveux central, le système cardio-vasculaire et provoquer, aussi, des dérèglements glandulaires (diabète, retards mentaux chez les enfants,…). |
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Les déchets proviennent des activités nucléaires, des activités utilisant la radioactivité (cas des détecteurs de fumée, par exemple), de la radioactivité naturelle, éventuellement renforcée du fait d’une activité humaine n’utilisant pas nécessairement les propriétés radioactives des matériaux (terrils provenant de l’extraction du charbon par exemple), ou du traitement du minerai d’uranium (stériles, résidus) stockés sur les sites d’extraction. Ils sont classés selon leur activité et leur durée de vie.
{} Nature et volume des déchets
Selon la définition de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), est considéré comme déchet radioactif « toute matière pour laquelle aucune utilisation n’est prévue, et qui contient des radionucléides en concentrations supérieures aux valeurs que les autorités compétentes considèrent comme admissibles dans des matériaux propres à une utilisation sans contrôle ». En France, selon la définition de la loi du 28 juin 2006, un déchet radioactif est une matière radioactive ne pouvant être réutilisée ou retraitée (dans les conditions techniques et économiques du moment) : ne sont considérés, au sens juridique, comme « déchets radioactifs » que les seuls déchets ultimes. A partir des critères internationalement reconnus, différents types de déchets ont été définis par l’Autorité de sûreté nucléaire, chacun nécessitant une gestion différente :
* les déchets de haute activité (HAVL) et les déchets de moyenne activité et à vie longue (MAVL) : ce sont principalement les déchets issus du cœur du réacteur, hautement radioactifs pendant des centaines de milliers, voire millions d’années.
* les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) ( [1]) : ce sont principalement les déchets technologiques (gants, combinaisons, outils, etc.) qui ont été contaminés pendant leur utilisation en centrale ou dans une installation du cycle. Leur durée de vie ( [2]) est inférieure à 30 ans et en 300 ans leur quantité décroît d’un facteur 1024, ce qui conditionne les quantités de déchets admissibles sur un site si on veut que ce site puisse être rendu « décontaminé » au bout de 300 ans. Ce temps est celui, généralement admis, comme permettant de se souvenir de l’existence d’un site dangereux ; ce qui est loin d’être une certitude.
* les déchets de très faible activité (TFA) : ce sont principalement des matériaux contaminés provenant du démantèlement de sites nucléaires : ferraille, gravats, béton... Ils sont peu radioactifs mais les volumes attendus sont plus importants que ceux des autres catégories.
* les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL) : ce sont principalement des déchets radifères et les déchets graphites. Les déchets radifères sont issus de l’industrie du radium et de ses dérivés, mais aussi de l’extraction des terres rares et les déchets graphites sont issus des réacteurs UNGG.
Volume des déchets radioactifs, entreposés ou stockés, existants et prévisionnels (en m3) {{}}
{{}} Catégorie de déchets |
Stocks existants 2007 |
Volumes prévisionnels 2020 |
Volumes prévisionnels 2030 |
Très faible activité | 231 688 (stockés 89 331) |
629 217 | 869 311 |
Faible et moyenne activité à vie courte |
792 695 (stockés 735 278) |
1 009 675 | 1 174 193 |
Faible activité à vie longue |
82 536 | 114 592 | 151 876 |
Moyenne activité à vie longue |
41 757 | 46 979 | 51 009 |
Haute activité | 2 293 (dont 74 combustibles usés) |
3 679 (dont 74 combustibles usés) |
5 060 (dont 74 combustibles usés) |
Filière à définir | 1 564 | ||
TOTAL {{}} | 1152 949 {{}} | 1 804 142 {{}} | 2251 449 {{}} |
Source : inventaire national des déchets radioactifs, Andra.
Réglementation
La gestion des déchets radioactifs s’inscrit dans le cadre général défini par la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 codifiée au chapitre Ier du titre IV du code de l’environnement et dans ses décrets d’application, relatifs à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux. Cette loi pose comme principes de base la prévention de la production de déchets, la responsabilité des producteurs de déchets jusqu’à leur élimination, la traçabilité de ces déchets et la nécessité d’informer le public.
La loi du 28 juin 2006 s’applique à la gestion durable des déchets et des matières radioactifs. Elle prévoit l’élaboration d’un Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs, mis à jour tous les 3 ans. Elle fixe le nouveau calendrier pour les recherches sur les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Elle rappelle l’interdiction de stocker de façon définitive sur le sol français des déchets étrangers en prévoyant l’adoption de règles précisant les conditions de retour des déchets issus du traitement en France des combustibles usés ou des déchets provenant de l’étranger.
La gestion des déchets radioactifs provenant des installations nucléaires de base a été précisée par un arrêté du 31 décembre 1999 fixant la réglementation technique générale destinée à prévenir et limiter les nuisances et les risques externes résultant de l’exploitation des installations nucléaires de base. Cet arrêté rappelle la nécessité pour l’exploitant de prendre toutes les dispositions nécessaires dans la conception et l’exploitation de ses installations pour assurer une gestion optimale des déchets produits, en tenant notamment compte des filières de gestion ultérieures. Il exige la rédaction d’une étude précisant les modalités de gestion des déchets produits dans les installations nucléaires de base. Suite à la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite loi TSN, cet arrêté a été révisé en novembre 2008 : il précise l’encadrement de la gestion des déchets (définition des zonages pour classer les diverses installations d’un site, mise en place d’aires d’entreposage, responsabilité de l’élimination des déchets dans des filières reconnues par l’ANDRA).
Les dispositions mentionnées au décret du 4 avril 2002 relatif à la protection générale des personnes contre les rayonnements ionisants ont été intégrées au code de santé publique. L’article R. 1333-12 de ce code prévoit que la gestion des effluents et des déchets contaminés par des substances radioactives provenant de toutes les activités nucléaires destinées à la médecine, à la biologie humaine ou à la recherche biomédicale comportant un risque d’exposition aux rayonnements ionisants, doit faire l’objet d’un examen et d’une approbation par les pouvoirs publics.
Les systèmes de traçabilité des déchets, radioactifs ou non, (registres, déclarations périodiques à l’Administration et bordereaux de suivi de déchets) sont définis par le décret n° 2005-635 du 30 mai 2005 relatif au contrôle des circuits de traitement des déchets. L’arrêté du 30 octobre 2006, pris en application du décret précédent, vise plus spécifiquement le cas des déchets radioactifs. Afin d’éviter l’introduction de déchets radioactifs dans des installations de traitement ou d’élimination de déchets non autorisées à cet effet, les actions menées par les pouvoirs publics ont conduit à la mise en place de dispositifs de détection de la radioactivité à l’entrée des sites (centres d’enfouissements, fonderies, incinérateurs, etc.).
Il est important de préciser ici le rôle de chacune des institutions chargées du dossier du traitement des déchets radioactifs. La législation adoptée en 2006 en a clarifié le cadre juridique, en confiant le contrôle des centrales nucléaires à une autorité indépendante, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). La recherche et la gestion sont séparées – en fait, depuis 1991 -. L’information est confiée, sur le papier au moins, d’une part à la Commission nationale d’évaluation (CNE) qui rapporte devant le Parlement, et d’autre part aux Commissions locales d’information.
- Depuis la loi de juin 2006, l’Autorité de Sûreté nucléaire (ASN) a été constituée en autorité administrative indépendante. Elle exerce les missions jusqu’alors confiées à la Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et les Divisions de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Les missions de l’ASN s’articulent autour de trois fonctions : Réglementer, contrôler et informer. Elle est chargée de contribuer à l’élaboration de la réglementation, en donnant son avis au Gouvernement sur les projets de décrets et d’arrêtés ministériels ou en prenant des décisions réglementaires à caractère technique ; de vérifier le respect des règles et des prescriptions auxquelles sont soumises les installations ou activités qu’elle contrôle ; de participer à l’information du public, y compris en cas de situation d’urgence.
- L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) est défini par le décret n° 2002-254 du 22 février 2002 modifié. L’IRSN a sept missions en matière de radioprotection, de sûreté et de sécurité nucléaires :
- 1) recherche et missions de service public (définition et mise en oeuvre de programmes de recherche nationaux et internationaux, contribution à la formation et à l’enseignement en radioprotection ;
- 2) veille permanente en matière de radioprotection, contribution à l’information du public)
- 3) appui et concours technique et opérationnel aux pouvoirs publics et aux autorités pour les installations nucléaires civiles ou de défense, les transports de substances radioactives ;
- 4) application des traités sur le contrôle des matières nucléaires et sensibles ;
- 5) ainsi que la protection physique et la sécurité des applications tant industrielles que médicales ;
- 6) appui opérationnel en cas de crise ou de situation d’urgence radiologique ;
- 7) prestations contractuelles d’expertise, de recherche et de mesure.
- Créée en 1991, l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) est un établissement public à caractère industriel et commercial dont les missions ont été complétées par la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Placée sous la tutelle des ministères en charge de l’énergie, de la recherche et de l’environnement, l’Andra est chargée de la gestion à long terme des déchets radioactifs produits en France. Dans le cadre de cette mission, l’Agence met son expertise et son savoir-faire au service de l’État pour concevoir des solutions de gestion et exploiter des centres de stockage de déchets radioactifs en protégeant l’homme et l’environnement de l’impact de ces déchets sur le long terme.
- La Commission nationale d’évaluation (CNE) a été créée par la loi du 30 décembre 1991 et redéfinie par la loi du 2 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Cette commission, composée de personnalités scientifiques, avait pour mission d’évaluer les résultats des recherches sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité à vie longue (HAVL) selon les trois axes prescrits par la loi : l’étude de la séparation–transmutation ; l’étude du stockage en couches géologiques profondes ; l’étude du conditionnement et de l’entreposage de longue durée en surface. La CNE étudie depuis 2006, l’ensemble de la problématique des déchets et suit l’ensemble des solutions proposées pour le stockage, pour l’entreposage. En particulier, la CNE donne son avis sur les recherches menées par le CEA, le CNRS. La CNE établit chaque année un rapport de ses travaux d’évaluation, qui est transmis par le Gouvernement au Parlement (Office parlementaire d’évaluation de choix scientifiques et technologiques).
- Le Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs (PNGMDR) a été créé par la loi du 28 juin 2006. La France est l’un des premiers pays à s’être doté d’une stratégie de gestion des déchets MA-HAVL [3] avec la loi « Bataille » de 1991 qui donnait un rendez-vous 15 ans après en 2006. Durant cette période, les pouvoirs publics avaient élargi le champ d’intervention des déchets MA-HAVL à l’ensemble des déchets radioactifs : cela avait conduit à l’élaboration d’un plan national de gestion des déchets radioactifs. Le débat public précédant le vote de la loi du 28 juin 2006 est allé au-delà en montrant l’intérêt de prendre aussi en compte les matières radioactives. Cette loi a donc élargi le périmètre de ce plan national à la gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) qui vise à :
- 1) dresser le bilan des modes de gestion existants des matières et des déchets radioactifs ;
- 2) recenser les besoins prévisibles d’installations d’entreposage ou de stockage, et préciser les capacités nécessaires ainsi que les durées d’entreposage ;
- 3) déterminer les objectifs à atteindre pour les déchets radioactifs qui ne font pas encore l’objet d’un mode de gestion définitif.
Le plan national est établi et mis à jour tous les trois ans par le Gouvernement et l’Autorité de sûreté nucléaire. Il est transmis au Parlement, qui en saisit pour évaluation l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et rendu public.
- Le cadre légal des Commissions locales d’information (CLI) a été défini par la loi de 2006 (article 22). Instituées près des installations nucléaires de base, elles ont à connaître des problèmes liés aux rejets et déchets des installations nucléaires de base. Pour l’exercice de ses missions, la commission locale d’information peut faire réaliser des expertises, y compris des études épidémiologiques, et faire procéder à toute mesure ou analyse dans l’environnement relative aux émissions ou rejets des installations du site.
- Créé en 2008, le Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire doit (loi TSN article 22) organiser des consultations sur la gestion des déchets et faire participer Commissions Locales d’Information, Association Nationale des Commissions et Comités Locaux d’Information au suivi de cette gestion. Il s’est saisi du problème des « FAVL » (déchets de faible activité à vie longue). Son rapport sera disponible en début 2011.
De fait, les difficultés tiennent :
- au traitement physique des matériaux dont l’ASN reconnaît que certains aspects ne sont pas résolus. Résoudre l’ensemble des problèmes du passé (résidus des mines, reprise des sites anciens, assainissement des labos, reprise des déchets médicaux, graphite, démantèlement, ...) reste une tache d’envergure qu’il faut entreprendre sans attendre et qu’on ne doit ni ne peut rater.
- aux possibilités de donner un inventaire (précis en ce qui concerne le présent) et sa projection sur 10 voire 20 ans. L’exercice est loin d’être facile, car les résultats dépendent fortement de la stratégie adoptée : quels développements choisit-on pour les réacteurs futurs ou décide-t-on, au contraire, d’en arrêter la construction ?
De toute façon arrêt ou non des réacteurs, nous serons confrontés à leur démantèlement (déconstruction est le terme actuel) et il faut absolument ne négliger aucun déchet.
Revisitons les 3 axes de la loi applicable aux déchets de haute activité et à vie longue (HAVL) : transmutation, stockage géologique profond et entreposage.
Transmutation
Le CEA est chargé d’examiner cette voie : il envisage un réacteur à neutrons rapides (RNR comme Superphénix). Le CEA devrait présenter un projet RNR vers 2012, pour une réalisation vers 2020, mais il faut passer par les procédures de choix de site, de débat public puis d’autorisation.
Une autre collaboration (EDF, CNRS, Université) envisage un réacteur couplé à un accélérateur. Cette recherche se réalise au niveau européen et aboutira à un prototype d’ici au mieux 15/20 ans.
De toute façon, il ne sera pas possible de reprendre les déchets vitrifiés, procédé actuel de traitement des déchets de haute activité.
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La transmutation Pour les corps radioactifs cette transmutation se fait spontanément : c’est la définition de la radioactivité. La transmutation de l’isotope d’un corps (stable ou radioactif) peut, aussi, être provoquée par l’action de particules (neutrons par exemple). Si on soumet ces corps à un flux intense de neutrons (ou autres particules) diverses réactions nucléaires peuvent se produire, pouvant conduire soit à des éléments stables, soit à des éléments de temps de vie différents plus court ou même plus long. |
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La transmutation qui ne concerne qu’un très faible pourcentage des déchets de haute activité est un procédé dévoreur d’énergie. Dans cette course pour prouver que l’on maîtrise la fin du cycle il faudrait au moins faire preuve d’honnêteté vis-à-vis du sujet.
Partons du programme énergétique : en l’état, les quantités estimées de déchets le sont à partir des 58 réacteurs fonctionnant 30 ans. Ce n’est pas sérieux d’une part dans la perspective d’un programme EPR (European Pressurized Reactor) basée sur des réacteurs fonctionnent 60 ans et d’autre part sur la base des 40 ans de vie visés par EDF pour ses 58 réacteurs actuels.
De plus le retraitement (traitement nouveau mot officiel), évite de se poser réellement le problème des déchets : on assure mieux utiliser l’uranium grâce à la récupération du plutonium et de l’uranium de retraitement. Or, d’une part, l’utilisation de MOX rend les Réacteurs à eau pressurisée plus dangereux et, d’autre part, l’utilisation de l’uranium de retraitement ne va pas très loin : radioactivité du combustible, présence d’éléments empêchant la fission. Quant à la comparaison avec les déchets industriels, soi disant plus volumineux et aux emballages défectueux, elle doit simplement nous inciter à faire mieux, pas à produire plus de déchets.
Un programme de transmutation, quelle que soit son envergure, ne permettrait pas d’éliminer le besoin d’un site de stockage géologique en profondeur. Certains isotopes (type césium) qui ne peuvent être transmutés nécessiteront de toute façon une solution de stockage. De plus, selon la CNE, les déchets dits de Catégorie B (de faible et moyenne activité à vie longue FA-MAVL), dont le volume s’élèvera à environ 100 000 mètres cubes en 2020, doivent également être déposés dans un stockage en profondeur.
Cela implique nécessairement un projet à très long terme. En effet, « un parc de réacteurs » passerait par trois phases :
- 1) une phase transitoire de mise à équilibre ;
- 2) une phase à l’équilibre pendant laquelle la production des actinides est égale à la destruction ;
- 3) et enfin une phase transitoire de destruction progressive de ces actinides. Pour trois scénarios présentés par le CEA à la CNE utilisant des réacteurs éprouvés (REP et RNR ?) [4] la phase 1 durerait entre 50 et 100 ans, et la phase 3 nécessiterait entre 150 et 250 ans afin que l’inventaire d’équilibre soit réduit d’un facteur 10.
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Actinides La série des actinides comprend les éléments chimiques du tableau périodique possédant un numéro atomique entre 89 et 103 inclus. Les actinides sont tous des éléments radioactifs qui possèdent des propriétés voisines. Ils tirent leur nom de l’actinium (Z=89), un métal lourd. L’actinide produit le plus abondamment est le plutonium, avec en tête son principal isotope, le plutonium-239. Mais les réacteurs nucléaires génèrent en quantités moindres d’autres actinides appelés « mineurs » : le neptunium-237, les américium-241 et 243 et les curium-244 et 245. Les actinides mineurs constituent, avec les produits de fission, une grande partie des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue (HAVL), c’est-à-dire les déchets de l’industrie nucléaire les plus fortement radioactifs. Source Wikipedia |
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Un programme de transmutation, en particulier s’il dépend du retraitement par voie aqueuse, génère de grandes quantités de déchets secondaires. Il aurait pour autre conséquence probable l’exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants. La CNE a fait remarquer que, « dans un premier temps, il semble inéluctable que le retraitement poussé conduise à de nouveaux déchets de type B » ; et le conseil scientifique du CEA a signalé dans un rapport de 1990 que « pour les conséquences à court terme, l’option séparation-transmutation des actinides représente un accroissement des doses, mais surtout une augmentation du nombre de personnes exposées. »
Le laboratoire, prélude au choix d’un site géologique profond
Le stockage géologique profond est considéré comme un acquis de la loi de 2006, même si des questions restent encore sans réponse, en particulier celle de la réversibilité, et que la loi exige « que la sûreté soit appréciée à toutes les étapes, y compris sa fermeture ». Mais quelle fermeture ? Une fermeture définitive, prononcée par une nouvelle loi fixant la durée minimale de la réversibilité (durée qui ne peut être inférieure à 100 ans).
La Commission nationale d’évaluation (rapport 2007) précise : « Deux cas particuliers de déchets méritent une réflexion approfondie : les déchets MAVL anciennement produits et les déchets de faible activité et à vie longue (FAVL) qui comprennent deux grandes familles, à savoir les déchets radifères et les déchets ‘graphites’. Ces différents types de déchets ne relèvent pas nécessairement d’un même concept et d’un même site de stockage. ». Toutes ces précautions oratoires n’ont pas empêché l’ANDRA de lancer une prospection pour trouver un site : 3 115 communes contactées pour en choisir une qui sera forcément sur une couche d’argile. La prospection s’est mal passée : l’ANDRA ne voulait pas s’adresser aux citoyens, mais seulement aux élus. Après 6 mois de « concertation », il est resté une trentaine de communes. Comme la plupart voulaient garder la possibilité de dire « non » au stockage au terme des étapes de prospection et de concertation, l’ANDRA est au point mort. Il est à craindre que le site soit choisi sans tenir compte de l’avis des habitants.
En l’état des connaissances, on peut juste affirmer que la voie « site géologique » peut être explorée mais il ne sera possible de la prendre en compte qu’après des études sérieuses sur les formations géologiques. Or le laboratoire de Bure [5] ne peut pas encore donner de résultats. En effet, beaucoup de simulations, de forages, des expérimentations in situ ont été conduites… à Mont Terri en Suisse, mais rien de concret sur le site de Bure. Les puits et les galeries expérimentaux sont en devenir. La « niche » (par 400 m de fond) destinée à faire des expérimentations n’est même pas dans la future « couche hôte » (- 600 m).
Rien n’empêche de continuer les travaux sur le site de Bure, mais rien ne permet de le sélectionner comme site de stockage. Le CLIS (Comité Local d’Information et de Suivi) de Bure a fait réaliser une étude (2004-2006) par une association d’expertise américaine. Les scientifiques de cette association ont posé beaucoup de questions et demandé des expérimentations complémentaires. L’ANDRA a cependant refusé de les recevoir et a refusé de discuter avec eux sur « le dossier Argile 2005 » qui faisait le point des recherches.
Il est clair que le stockage profond séduit parce qu’il permet de transférer dans le futur les problèmes inhérents à un stockage : fûts attaqués progressivement, dilution dans l’eau, eau se frayant un passage pour revenir à la biosphère. Ces problèmes seront pour le moyen et long terme.
Les arguments employés contre des entreposages nous le rappellent : en surface il est expliqué que la pérennité est liée aux ouvrages de génie civil dont la durée séculaire n’est pas garantie. Pourquoi cette pérennité serait-elle garantie dans un stockage profond ?
Quant à la tenue des « colis » [6] , elle sera équivalente en entreposage ou en stockage puisque ce sont les mêmes emballages. Par contre ce qui est essentiel c’est la réversibilité. Précisons qu’il s’agit de la réversibilité qui permet d’intervenir après la fermeture du site. Pour le moment l’ANDRA ne parle que de la réversibilité pendant le fonctionnement du site, soit une centaine d’années…. comparée aux millénaires de temps de vie : on est loin du compte.
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La réversibilité Il s’agit de la possibilité que l’on se donne de pouvoir ressortir des « colis » de déchets nucléaires stockés dans des galeries en profondeur. |
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L’entreposage
Même avec un site profond, il est inéluctable. En effet, il ne sera pas possible de stocker tous les colis sans un temps de refroidissement préalable. Ces colis ne doivent pas dégager une chaleur supérieure à 70 W, sinon ils cuisent la roche, qui perd sa fonction de barrière.
Les emballages des colis entreposés en prévision d’un stockage doivent être pérennes, car reconditionner des déchets est dangereux et ne doit pas être une option.
L’entreposage oblige à une surveillance et à la mémoire. En cela il répond bien à la nécessité de garder trace du contenu des fûts et de leurs lieux d’entreposage ou de stockage.
Le rapport de la Commission nationale d’évaluation 2 (CNE2-mars 2007) évaluait le premier Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) et affirmait que « le cas des déchets de faible et très faible activité est en effet réglé, grâce aux centres de stockage de Soulaines et de Morvilliers. » Ce qui n’est pas exact. Il affirmait aussi que « le choix du retraitement s’avère pertinent, non seulement en termes d’optimisation des ressources énergétiques mais également en termes de gestion des déchets. » Les rapports suivants enfourchent toujours cette logique.
Par contre, le PNGMDR est plus factuel : il se contente de faire le point sur les déchets du passé et du présent et de vérifier les filières possibles d’évacuation et de stockage des divers déchets. Si rien n’existe, il s’adresse aux diverses instances et vérifie l’état des recherches, n’hésitant pas à relancer les protagonistes pour remettre les inventaires à jour et les moyens de traiter les déchets (emballages, entreposage ou stockage).
Le débat public organisé en 2005/2006, prélude à la loi « déchets » de 2006 avait fait apparaître la notion « d’entreposage de longue durée ». Cette notion permettait de réfléchir et de ne pas se lancer à la légère dans le stockage géologique profond. Il ne s’agissait pas de s’arrêter, mais d’éviter de commencer le creusement de tunnels sans avoir les résultats des recherches du laboratoire de Bure.
Une estimation réaliste de la quantité de déchets reposant sur un plan énergétique clair et détaillé, adossé à des économies sérieuses (usines respectueuses de l’environnement et économes des matières premières,...) est nécessaire mais les instances officielles considèrent comme acquis le recours au nucléaire et se contentent d’affirmer les besoins d’énergie (électrique de surcroît et donc nucléaire). Le chauffage peut et doit être assuré par le solaire, la géothermie ou encore le bois. Quant aux transports, sauf si enfin on passe au ferroutage, le nucléaire ne peut assumer les besoins énergétiques dans ce domaine. En France, notre quantité de déchets dépendra beaucoup de ce plan énergétique.
De plus, la difficulté de reprise des déchets anciens n’est pas prise en compte, et les quantités annoncées sont celles résultant du fonctionnement des réacteurs jusqu’en 2020/2030. Or EDF construit un EPR à Flamanville et compte bien continuer à partir de 2020 par un plan de remplacement des réacteurs actuels par des réacteurs qui devraient vivre 60 ans. On imagine qu’un seul site pourrait s’avérer vite insuffisant, sauf à voter des extensions le moment venu.
Il manque aussi une estimation des recherches, en établissant le bilan de ce qui a été testé, de ce qui a marché et de ce qui a posé problème. Pour l’heure chaque rapport se contente de s’extasier sur la transmutation ou le stockage géologique profond.
La transmutation exige et exigera le retraitement poussé et des réacteurs spéciaux, deux paris techniques encore dans les limbes. Il faudrait donc des usines de retraitement poussé donc très radioactives, des usines de façonnage de combustible également radioactives pour des réacteurs encore à concevoir.
Soyons clair : le nucléaire repose sur un minerai (l’uranium) et ne peut être qu’une transition comme le gaz, le pétrole ou le charbon. Si cette transition nous rend la vie impossible par contamination de l’environnement et atteinte à la santé, on a tout intérêt à limiter le recours au nucléaire et même à l’arrêter le plus vite possible.
Sa composante militaire le rend par ailleurs incontrôlable. Sa haute technologie en fait un instrument d’asservissement des peuples : le monde n’est vraiment pas prêt pour ce type d’énergie.
Il faut souligner enfin que, ni le principe de précaution, ni le souci des générations futures ne semblent guider la gestion des déchets de l’énergie nucléaire. Les préoccupations liées au développement durable sont bien éloignées de ce domaine.
Monique Sené
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Durée au terme de laquelle la moitié des noyaux radioactifs se sont désintégrés
[2] Définitions citées par Wikipédia. Voir Code de l’Environnement article L 542-1-1
[3] Déchets moyenne activité et haute activité vie longue
[4] le CEA insiste sur les RNR, mais un prototype qui sera opérationnel seulement en 2020 vient d’être lancé, et d’autre part le bilan de transmutation est loin d’être connu aussi bien au plan des quantités transmutées que des coûts et donc de sa rentabilité. Un tel choix est clairement un engagement du CEA sur la voie nucléaire : les citoyens français peuvent ne pas y adhérer.
[5] Site choisi par la France, aux confins des départements de la Meuse et de la Haute-Marne, pour construire un laboratoire souterrain destiné à étudier les conditions de stockage des déchets en profondeur.
[6] C’est le terme consacré par les organismes techniques
Bibliographie
Pour en savoir plus{{}}
o Consulter La gazette nucléaire, publication du GSIEN (Groupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Énergie Nucléaire, 2 rue François Villon 91400 Orsay, télécopie 01 60 14 34.
o Consulter également le site de La gazette nucléaire, [http://resosol.org/Gazette/] de très nombreux articles accessibles en ligne, publiés par la revue depuis 1976
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