Les autorités locales sont les acteurs-clés du nouveau paradigme énergétique

27 janvier 2009

Résumé

La question énergétique revient en force sur les agendas politiques des institutions internationales pour deux raisons majeures : le réchauffement climatique et la sécurité d’approvisionnement énergétique. L’Europe est au cœur de cette problématique et en vit pratiquement les conséquences, parfois très durement. Les États, les grandes compagnies énergétiques et les institutions internationales se demandent parfois en quoi les pouvoirs locaux et régionaux peuvent avoir une influence sur des questions d’une telle importance dont les enjeux semblent se situer bien au-delà de leurs propres capacités à agir. Il n’en est rien. Si les conséquences des problèmes énergétiques sont mondiales, une grande partie des solutions réside dans un changement complet de paradigme au plan énergétique dans lequel la façon dont nous utilisons l’énergie est centrale.

Tout ce qui motive les consommations énergétiques pour l’habitat, les lieux de travail, de commerce, de divertissement ainsi que pour se déplacer, se déroule sur des territoires dont l’organisation relève des autorités locales et régionales et représente environ les trois-quarts de la consommation totale et, dans une proportion semblable, des émissions de gaz à effet de serre.

Á côté des décisions internationales, européenne ou nationales, il faut donc des initiatives et des changements de comportements locaux. En Europe, ce sont surtout les autorités locales qui, en s’engageant sur la voie d’une nouvelle culture de l’énergie, ont pris en main ces initiatives, parfois encouragées par les gouvernements nationaux. C’est par elles – et au-delà, par les citoyens et les acteurs locaux - que le cours des événements pourra réellement s’inverser. Car la question ‘’énergétique’’ est une question de société bien avant d’être une question technique [1].


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La nouvelle classification de cet article est :

3.2- Agendas 21 locaux et pratiques territoriales de développement durable
7.1- Energies

Auteur·e

Magnin Gérard

Gérard Magnin est Délégué général de l’association Energie cité, dont le siège est à Besançon et qui anime, sur le thème des politiques locales de l’énergie, un réseau de plus de 500 collectivités territoriales dans 24 pays européens. Il a été auparavant Délégué régional de l’Agence de l’Environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) en Franche-Comté. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le thème des politiques locales de l’énergie.


 L'énergie, la vie et les activités économiques

L’énergie n’est pas un bien comme un autre

Comme l’eau, l’air, les matières premières et l’alimentation, l’énergie est un bien indispensable à la vie. Elle conditionne toutes les activités humaines et économiques. Cette situation confère à ceux qui détiennent les ressources un pouvoir très important, notamment lorsqu’il s’agit de ressources fossiles et fissiles :les quantités mises sur le marché, les prix pratiqués, les conditions de livraison, sont largement entre les mains des pays producteurs et des compagnies qui assurent l’exploitation des ressources. La sécurité d’approvisionnement et la compétitivité économique des pays consommateurs sont donc au coeur des politiques énergétiques. Mais ce n’est pas tout. La transformation et l’utilisation de l’énergie occasionnent des impacts sur l’environnement : émissions polluantes locales, émissions de gaz carbonique affectant le climat de la planète, déchets radioactifs, risques d’accidents majeurs. C’est pourquoi la protection de l’environnement forme - avec la sécurité et la compétitivité - les trois piliers de la politique énergétique de l’Union européenne et des pays européens en général. Compte-tenu du développement de la précarité énergétique qui prive les populations les plus pauvres d’un approvisionnement énergétique à un prix acceptable, il conviendrait peut-être d’y ajouter une quatrième dimension, l’équité sociale, qui garantirait à tout citoyen européen l’accès à l’énergie pour ses besoins vitaux. Les politiques énergétiques pourraient ainsi se trouver en harmonie avec les principes du développement durable :développement économique, environnement et équité sociale. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Historiquement, le développement des territoires s’est
réalisé à partir des ressources énergétiques

Les premières populations sédentaires se sont installées près des lieux de ressources énergétiques naturelles : près des cours d’eaux, là où il y avait du vent, des forêts, du soleil. On utilisait l’énergie avec parcimonie. Et quand une surexploitation forestière survenait, elle entrainait des migrations… vers une autre forêt. La première révolution industrielle, celle du charbon et des premiers réseaux électriques locaux, a localisé les peuplements et les activités à côté des cours d’eaux et des mines. Une région charbonnière était une région riche. Jusqu’à cette période – qui a encore des réminiscences de nos jours en maints endroits d’Europe – le développement des territoires a été fortement lié aux ressources locales, entraînant une forte responsabilité des territoires vis-à-vis de leur lien vital à l’énergie. La seconde révolution industrielle, celle du pétrole, de l’électricité interconnectée à de grands réseaux, puis du gaz – toutes énergies facilement transportables – a libéré les territoires et leurs activités de leur dépendance aux ressources locales et donné le départ d’une explosion des déplacements. Cette “libération”’ a largement contribué à permettre un formidable développement économique dans la partie du monde que nous avons nommée…industrialisée. Cette “libération” a, dans le même temps, produit des effets négatifs et produit de nouvelles dépendances dont nous sentons aujourd’hui les effets :

  • Les territoires se sont déresponsabilisés de leur relation à l’énergie : les lieux de la production énergétique et ceux de sa consommation se sont distanciés jusqu’à s’ignorer, et nous nous retrouvons contraints d’acheter l’énergie à des prix que nous ne maîtrisons plus ; nous avons construit ici de l’habitat, ailleurs des commerces, et des entreprises à d’autres endroits et nous consommons de l’énergie pour relier chaque jours tous ces lieux.
  • Les territoires ont cessé d’utiliser l’énergie de façon économe (comme c’est le cas dans toutes les économies de rareté) dès lors que leur consommation énergétique n’altérait plus leurs ressources locales,et dans certains pays, la croissance de la production énergétique était un objectif en soi, un indicateur de progrès, indépendamment de l’usage que l’on en faisait.
  • Si les territoires se sont progressivement préoccupé des conséquences locales sur l’environnement et la santé d’une utilisation de l’énergie dans de mauvaises conditions (pollution de l’air), ils n’ont eu généralement aucune attention pour les conséquences environnementales globales de leur consommation, qu’il s’agisse de la préservation des ressources ou de la maîtrise des rejets. Il en résulte une aggravation de l’effet de serre dont nous devrons tous payer les conséquences.
  • En fait, l’énergie abondante et pas chère nous avait conduit à fabriquer des territoires “hors-sol”, conçus indépendamment de leur environnement immédiat et de leurs ressources : l’appel à des énergies exogènes a été systématique, une certaine vision du progrès mesurant le degré de civilisation au degré d’affranchissement des humains vis-à-vis de leur milieu naturel.

La montée des prix de l’énergie et la raréfaction des ressources nous révèlent à quel point nous nous sommes installés dans un état qui, par rapport à l’énergie, s’apparente à une addiction.

L’entrée en scène des nouveaux pays émergents signe la fin
d’une forme irresponsable de consommation de l’énergie

Jusqu’à la fin du XXe siècle, les seuls pays dits “industrialisés” (principalement les pays de l’OCDE et de l’ex- URSS), soit le quart de la population mondiale, consommaient les trois-quarts de l’énergie du monde. Dans ce contexte de consommation limitée à une partie du globe, les impacts de notre mode de consommation et de production énergétique ont été très importants : réchauffement climatique, tensions sur les ressources entrainant des conflits pour l’approvisionnement énergétique, hausse des prix, accidents majeurs pétroliers et nucléaires.

A présent que l’ensemble du monde aspire légitimement à un mode de vie plus confortable, il est à craindre que tous les inconvénients de notre système ne se développent de façon exponentielle. Ce qui n’était pas “durable” avec le quart développé du globe, le sera encore moins avec les trois-quarts et, espérons-le, la totalité du globe durant ce siècle,car on ne saurait admettre qu’une partie de l’Humanité reste sur le bord du chemin. Les pays en transition de l’est de l’Europe subissent de plein fouet cette situation : forte intensité énergétique [2] , prix mondiaux de l’énergie à la hausse et revenus limités des familles et des institutions locales, pressions géopolitiques, etc., s’ajoutent à des infrastructures – dont celles de chauffage, de transport public, de logement – souvent dégradées.

Il n’est pas imaginable que cette situation perdure, mais c’est pourtant ce qui risque de se produire si nous ne sommes pas capables de changer le cours de notre développement et le rapport que nous entretenons avec l’énergie. Le modèle occidental, qui a si longtemps fasciné tant de monde, apparaît pour ce qu’il est : non durable, non généralisable à l’échelle de la planète si ses fondements ne sont pas remis en cause tout en maintenant un bon standard de vie. De ce fait, le désir des pays européens en transition d’adopter les critères de ce qui a fait autrefois le “progrès” des pays de l’Europe occidentale devra être revisité. Il serait en effet fâcheux que, une fois censés être arrivés à destination, ces pays s’aperçoivent que la destination des pays les plus avancés a changé.

Car elle est en train de changer.

 Les perspectives à moyen et long termes et les défis territoriaux

La perspective du “Facteur 4” à l’horizon 2050 nous offre
une alternative qui doit être prise au sérieux
 [3]

Selon le GIEC [4]/ IPCC [5], les émissions de gaz à effet de serre du monde doivent être divisées par 2 avant 2050 pour limiter l’accroissement de la température du globe à 2°C durant le XXIe siècle. Compte tenu du fait que les pays “industrialisés” ont une contribution aux émissions de gaz à effet de serre per capita beaucoup plus forte que les autres, cela signifie qu’il nous faudrait diviser par 4 nos émissions avant 2050. Ou encore, diviser par au moins 2 nos consommations énergétiques et utiliser les énergies renouvelables de façon très significative. Dans cette perspective, l’Union européenne a décidé en 2007 de fixer à l’horizon 2020 les objectifs suivants : baisse de 20% des émissions de CO2 ; baisse de 20% des consommations énergétiques ; part d’énergies renouvelables portée à 20% des consommations énergétiques. Ces perspectives sont maintenant les objectifs de tous – que nos pays aient ou non approuvé le Protocole de Kyoto, lequel ne constitue d’ailleurs qu’une première étape pour une série de raisons qui ne se réduisent pas seulement au changement climatique : développement économique, sécurité et indépendance énergétique, équité sociale, réduction des tensions géopolitiques, pollutions locales, création de nouveaux types d’emplois, développement équilibré des territoires, etc.

Au niveau de chaque territoire, les autorités locales devront (ré)apprendre à compter l’énergie consommée, les potentiels d’économie possible, la part satisfaite par les énergies renouvelables et de récupération ainsi que les émissions de CO2. La comptabilité énergétique territoriale devra accompagner toute politique qui visera à re-responsabiliser les territoires sur la question de leur approvisionnement énergétique. Le programme opérationnel INTERREG IV C de la Commission européenne s’inscrit dans cette perspective, le nouveau paradigme énergétique étant considéré, avec l’adaptation au changement climatique, comme l’un des quatre challenges majeurs pour les territoires [6].

Une nouvelle forme de compétition entre les pays - et les
territoires - a commencé

Une ville ou une région sera d’autant plus attractive qu’elle sera capable d’offrir une qualité de vie reconnue à ses habitants. Parmi les critères de la qualité de vie, la capacité à vivre avec une quantité d’énergie raisonnable provenant autant que possible de ressources renouvelables, tiendra une place très importante.

Pas plus qu’une entreprise ne saurait survivre dans une économie de marché en gaspillant l’énergie, une ville ou une région attractive ne sera jamais un territoire où les logements seront mal isolés et où les habitants ne pourront pas se chauffer correctement. Où les distances à parcourir pour la vie quotidienne seront de plus en plus longues, où les parcours individuels s’effectueront surtout en automobile. Où les produits alimentaires viendront surtout de l’autre bout du monde sans égard pour des productions de proximité. Où les autorités locales dépenseraient l’énergie sans compter, encourageraient l’étalement urbain sans limites, n’aideraient pas les citoyens à consommer plus intelligemment, ne favoriseraient pas le développement d’activités économiques visant à consommer moins d’énergie et à utiliser davantage d’énergies renouvelables, n’offriraient pas des circuits piétonniers, cyclables, des transports publics agréables et efficaces, des espaces verts permettant la récréation près de chez soi, des services et magasins de proximité. D’ores et déjà, les villes européennes sont engagées dans une compétition sur toutes ces questions. Une nouvelle “culture de l’énergie” est en train d’émerger et ceux qui n’y prendront pas garde seront marginalisés. Or ils sont encore très nombreux et les tendances actuellement en cours sont encore loin d’aller majoritairement dans cette direction.

 Changer notre rapport à l'énergie et améliorer la performance énergétique des territoires

La révolution industrielle de l’intelligence et de
l’information va changer notre rapport à l’énergie

Notre seul moyen d’action, en tant que pays consommateurs (peu importe si nous sommes ou non producteurs), est d’agir sur la réduction du niveau de nos consommations et sur nos capacités à utiliser les ressources du territoire : soleil, vent, biogaz, biomasse, géothermie, récupération d’énergie. L’énergie consommée va être remplacée par l’intelligence de son utilisation. Le Danemark a décidé que, à partir de 2015, aucune nouvelle construction ne devrait avoir besoin d’énergie pour le chauffage. La France est en train de prendre une voie similaire si l’on en croît les conclusions du Grenelle de l’Environnement. En Allemagne, on réalise depuis longtemps des constructions dites “passives” qui consomment 6 à 7 fois moins que la réglementation en vigueur ne l’exige, avec un surcoût d’investissement de 5 à 10% seulement et ensuite un coût de chauffage ridiculement faible (environ 10 €/mois pour un appartement). D’autres encore produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment, leurs toits étant formés par des capteurs solaires thermiques et photovoltaïques qui ont remplacé les tuiles. On sait réduire la consommation énergétique des bâtiments existants par des facteurs de 3 à 4. Les matériaux et équipements existent, les technologies de la régulation sont là, l’intelligence des hommes et des femmes aussi. Alors, dans ces conditions, pourquoi continuer à focaliser notre attention uniquement sur l’offre d’énergie alors même que des besoins quotidiens peuvent être satisfaits de façon très confortable sans y avoir recours ou avec une quantité minimale d’énergie ? Nul n’a besoin d’énergie comme bien final, mais il y a seulement des besoins à satisfaire qui nécessitent de l’énergie. Satisfaire nos besoins dans de bonnes conditions de confort et de compétitivité économique, en consommant le moins possible, telle est notre feuille de route.

Investir dans la maîtrise de la demande d’énergie est un
“plus”assuré pour les citoyens

Jusqu’à récemment, éInvestir dans l’énergieé était implicitement construire une nouvelle centrale, construire un nouveau pipeline ou étendre un réseau électrique. C’était produire davantage de mégawatts, c’était vendre plus à des consommateurs qui devront payer davantage pour un service identique ou peu différent. “Investir dans l’énergie” cela doit signifier aussi, en proportion croissante, produire des NegaWatts, c’est-à-dire des économies d’énergie. Isoler thermiquement un immeuble d’habitation, c’est améliorer le confort des habitants, diminuer leurs dépenses énergétiques, fournir du travail aux entreprises locales. Un euro investi dans une production supplémentaire coûtera au consommateur. Le même euro investi dans l’économie d’énergie réduira sa facture. Cette nouvelle manière d’aborder la question énergétique est celle de l’avenir.

A l’identique, on peut dire que si l’on utilise des ressources renouvelables endogènes, l’argent dépensé pour l’énergie reste sur le territoire, alimente les circuits économiques et encourage l’emploi.

A l’inverse, le recours aux énergies exogènes ponctionne l’économie locale et conduit à transférer des sommes considérables loin des territoires de consommation. Cela ne signifie pas que nous ne devons pas construire de nouveaux équipements de production, en particulier pour moderniser des installations vétustes, ou que nous allons vivre totalement en autonomie, mais que nous avons besoin d’une révolution des mentalités à cet égard : penser l’énergie pour les services qu’elle peut fournir aux consommateurs finaux et aux acteurs locaux plutôt que pour accroître les recettes des producteurs.

Les obstacles

Ils sont de différentes natures, parmi lesquels :

  • une sous-estimation des nécessités absolues de changement si l’on veut éviter des crises graves et des conflits, et finalement l’obligation de prendre un jour des décisions d’urgence – forcément impopulaires - sous la contrainte ;
  • l’impression que les objectifs environnementaux sont en contradiction avec les objectifs économiques alors qu’ils se renforcent mutuellement ;
  • la difficulté d’admettre qu’un confort accru peut non seulement être compatible - mais parfois être seulement possible - avec une consommation d’énergie plus faible, en particulier dans des pays qui ont connu des restrictions énergétiques ;
  • l’illusion que les technologies seules pourront apporter des solutions sans que l’on doive changer nos comportements ou nos façons de décider ;
  • le poids des acteurs traditionnels de l’énergie qui ne se préoccupent pas beaucoup des usages mais sont surtout préoccupés de la production et de la vente d’énergie
     ;
  • les intérêts financiers qui privilégient toujours les gains de court terme au développement équilibré de long terme et font de l’énergie un bien marchand comme un autre ;
  • le poids des habitudes qui nous empêche d’imaginer le futur comme différent d’une prolongation du passé et qui dans certains pays a été façonné par une énergie à très faible coût ;
  • la difficulté d’imaginer une vision commune, à l‘échelle d’une génération par exemple, de ce que pourra être notre système énergétique et notre organisation urbaine, périurbaine et régionale ;
  • la centralisation des systèmes de décision qui prétendent tout régler par le sommet sans impliquer les autorités locales, les citoyens et tous les acteurs du marché, c’est-à-dire ceux qui chaque jour prennent les décisions qui orientent les consommations énergétiques. Il est en effet établi que ce sont les pays décentralisés qui ont donné lieu à une floraison d’initiatives locales. Il n’y a pas d’autre explication au fait que l’Autriche détienne le record européen des installations de solaire thermique par habitant alors que ce pays n’a pas une réputation de pays le plus ensoleillé.

La performance énergétique des territoires et des autorités
locales doit être améliorée

La performance énergétique des territoires et des autorités locales doit être améliorée dans des proportions très significatives dans tous les pays européens, et davantage encore dans les pays en transition. L’industrie et une partie du tertiaire privé sont exposés à la concurrence et sont de ce fait devant une obligation d’amélioration de leurs performances économiques en général et de leurs performances énergétiques en particulier, sous peine de disparaître. Néanmoins, il n’en va pas de même des secteurs de l’habitat, du tertiaire public, du transport, etc., qui restent à l’écart d’une stimulation par la concurrence et doivent trouver leurs propres ressorts d’amélioration dans le domaine énergétique comme dans les autres. La situation actuelle ayant des conséquences négatives : handicaps économiques, consommations et dépenses énergétiques inutiles, précarité énergétique de nombreux citoyens, atteinte à l’environnement local et global, risques accrus, etc., ce sont les perspectives d’amélioration durable du niveau et de la qualité de vie des habitants qui seront les principaux ressorts de l’amélioration de la performance énergétique. Plutôt que de s’opposer comme on le pense souvent, ces considérations se rejoignent. Les plus hauts niveaux de vie en Europe sont situés dans les pays énergétiquement les plus performants. Une exposition réalisée dans le cadre de l’initiative européenne “IMAGINE – le futur énergétique de nos cités” présente une série d’exemples innovants [7].

 Les autorités locales et régionales, nouveaux acteurs de l'énergie

Les acteurs de l’énergie vont changer et les autorités
locales et régionales vont prendre une part croissante de
responsabilité

On voit combien le nouveau paradigme énergétique dans lequel nous entrons interagit avec le type de développement et de société que nous désirons. Les schémas de pensée anciens ne sont plus capables de nous aider à comprendre le présent et encore moins le futur énergétique de nos territoires. De nouveaux schémas doivent être inventés, adaptés aux défis de notre temps. Jusqu’à ce jour, les acteurs de l’énergie se sont principalement situés du côté de l’offre centralisée (compagnies de gaz, de pétrole, de charbon, d’électricité). Ils symbolisaient l’énergie à eux-seuls. Proches des lieux de décision étatiques – et parfois même davantage - ils étaient et demeurent très éloignés des villes et régions.

Désormais, les acteurs de l’énergie vont se situer davantage du côté de la demande (là où l’on a besoin de se chauffer, de s’éclairer, de se divertir, de se déplacer, de produire) et de l’offre décentralisée (là où l’on peut utiliser les ressources naturelles de notre environnement, l’énergie de récupération ou encore les systèmes efficaces comme la cogénération à haut rendement et les réseaux de chaleur). Ils seront non seulement plus proches des villes et des régions, mais ils seront dans les villes et les régions. Ils sont urbanistes, architectes, chauffagistes, maçons, menuisiers, couvreurs, fonctionnaires, sylviculteurs, enseignants, responsables de transport ou de voirie, associatifs, universitaires, etc. Ce sont les citoyens dans leurs diverses fonctions : propriétaires ou locataires ; automobilistes, piétons, cyclistes ou utilisateurs de transports publics ; professionnels. Et bien sûr ce sont les institutions locales et régionales sur lesquelles reposera une part importante de ces nouvelles responsabilités. C’est en effet toujours sur un territoire local que l’on va consommer de l’énergie pour satisfaire les besoins de la vie quotidienne, familiale ou professionnelle. En consommer le moins possible pour satisfaire au maximum nos besoins, doit devenir l’objectif de chaque autorité locale car elle est tout à la fois : consommatrice d’énergie, planificatrice de l’espace urbain et investisseur, productrice et distributrice d’énergie, incitatrice vis-à-vis de la population et des acteurs locaux.

Les autorités locales et régionales consomment
de l’énergie

Les autorités locales et régionales consomment de l’énergie pour les bâtiments dont elles sont propriétaires et gestionnaires - qu’ils soient administratifs, scolaires, culturels, sportifs, sanitaires ou encore d’habitation -, pour l’éclairage public, les équipements relatifs à la production et la distribution d’eau, pour l’assainissement ou la gestion des déchets, le parc de véhicules qu’elles gèrent. Elles doivent offrir le meilleur service et la meilleure qualité de vie à leurs habitants, en minimisant leur propre consommation et donc leurs dépenses énergétiques. Les municipalités paient les dépenses énergétiques occasionnées par leurs consommations. Elles sont donc intéressées très directement aux économies à réaliser et au-delà, à devenir modèles dans leur gestion énergétique, disposer d’équipes d’efficacité énergétique, afficher au public leurs performances énergétiques. Les autorités locales, nombreuses, qui se sont engagées dans cette voie ont souvent diminué leurs consommations de 50% ou plus.

Les autorités locales et régionales sont responsables de l’urbanisme et des politiques de déplacement et de transport, elles investissent et planifient

A l’occasion de décisions importantes relatives à l’aménagement d’un quartier, de la ville toute entière, à l’extension urbaine, à l’organisation des transports régionaux, mais aussi par une multitude de décisions quotidiennes, tels que les permis de construire, des choix sont arrêtés. Ils vont surdéterminer les consommations énergétiques futures des habitants et des différents agents économiques. La plupart des villes sont encore loin d’intégrer une dimension énergétique dans les choix d’urbanisme : énergie et plan d’occupation des sols ou schéma d‘aménagement régional sont généralement des domaines qui s’ignorent, sauf peut-être pour les réseaux de chaleur. Cette attitude conduit à un étalement urbain effréné qui gaspille le sol (ressources non renouvelable) et rend les habitants captifs des déplacements automobiles.

Växjo, capitale de la biomasse

Un nombre croissant d’autorités locales et régionales modifient déjà leur approche et accordent une attention croissante aux impacts énergétiques de leurs décisions : par exemple, faire l’effort de construire des logements à très faible consommation énergétique, voire “zéro énergie” n’a de sens que si leur localisation ne nécessite pas de parcourir 50 km par jour pour se rendre à son travail et dépenser ainsi davantage en carburant que ce que l’on consommait pour se chauffer dans un bâtiment mal isolé. Ou si, faute de services, de commerces ou d’école à côté de chez soi, on soit obligé d’utiliser son véhicule automobile pour n’importe quel déplacement. L’organisation de la mobilité, des déplacements et des transports est essentielle et les autorités locales doivent permettre de circuler à pied, en vélo et en transports publics sur des infrastructures permettant de circuler de façon confortable, en toute sécurité. Des villes telles que Freiburg Im Breisgau en Allemagne, se sont résolument engagées dans cette voie.

Les autorités locales et régionales produisent et distribuent de l’énergie, par elles-mêmes ou par l’intermédiaire de partenariats public-privé

Qu’il s’agisse de production et de distribution de chaleur et parfois de froid, de distribution de gaz ou encore de production d’électricité, les autorités locales et régionales ont la responsabilité d’améliorer l’efficacité des systèmes (par exemple en réhabilitant les réseaux de chaleur, en favorisant la cogénération à haut rendement, y compris de petite et moyenne taille), d’encourager l’utilisation efficace de l’énergie qu’elle délivre et de valoriser les ressources locales : énergies renouvelables (dont la biomasse, la géothermie, le biogaz, le solaire, l’hydroélectricité ou l’éolien), énergie issue des déchets urbains ou de la récupération de chaleur issue de processus industriels, dans la perspective d’atteindre les objectifs énergétiques précités.

La Ville de Växjö en Suède a décidé en 1996 d’être “zero fossil fuel” en 2010 et elle est proche d’y parvenir, comme l’est déjà la petite ville autrichienne de Güssing.

Les autorités locales et régionales informent les citoyens et
les acteurs locaux et les incitent à économiser l’énergie et à
utiliser des énergies renouvelables

Parce que proches du terrain, elles ont une responsabilité essentielle pour faire de la question énergétique un sujet qui devient l’affaire de tous et non des seuls spécialistes énergétiques. Il peut s’agir des ménages et plus largement des habitants, des organismes de logement, des commerces, des banques, des artisans, des établissements scolaires et universitaires, des administrations, des établissements de santé, des entreprises industrielles, des sociétés de services ou de transports, des associations diverses (habitat, environnement, transport, de quartier, etc.), des syndicats et des associations professionnelles, et bien sûr des agences régionales et nationales de l’énergie, des entreprises énergétiques, etc. Les autorités locales ont la responsabilité de faire converger les actions de tous ces acteurs, qui ont des motivations différentes, vers les objectifs d’efficacité énergétique d’énergies renouvelables et de limitation des émissions de gaz à effet de serre. La Ville d’Heidelberg en Allemagne a réussi à mobiliser des centaines d’acteurs locaux autour de sa politique dans un Forum local pour l’énergie intelligente. Par ailleurs, de nombreuses régions ont pris l’initiative de stimuler les actions locales via différents moyens en fonction de leurs compétences, y compris d’incitation financière.

Les autorités locales et régionales doivent mieux s’organiser pour améliorer leur capacité d’action

Au niveau individuel, elles ont besoin de se doter d’une organisation interne à la hauteur des responsabilités : des responsables politiques affectés à l’énergie durable ; des unités spécialisées pour prendre en charge les questions d’efficacité énergétique dans l’administration locale ou régionale, travaillant en étroite relation et de façon transversale avec les autres départements ; des unités spécialisées pour mettre en œuvre au niveau de leur territoire une politique énergétique durable, par exemple sous la forme d’agences locales de l’énergie, afin de connaître et comprendre la situation énergétique dans son ensemble, de concevoir une politique énergétique intégrée à tous les domaines de la vie locale visant à atteindre les objectifs précités, d’impliquer les acteurs locaux (entreprises, banques, universités, instituts de conception, consultants, ONG, etc.) et les citoyens. C’est à ce prix qu’elles seront capables de définir des objectifs, de concevoir et mettre en œuvre des plans d’actions et à assurer leur monitoring et leur évaluation.

1.

Mais ce n’est pas suffisant et un niveau d’action collective horizontale s’impose. En effet, isolées, elles ne disposent pas des informations, connaissances, capacités et poids suffisant pour contribuer efficacement à inverser les tendances énergétiques. C’est pourquoi, dans la plupart des pays, les autorités locales se sont organisées, à l’intérieur de leurs associations généralistes ou en créant des réseaux de villes spécialisés dans les politiques énergétiques locales durables. A l’initiative du réseau européen “Énergie-Cités” [8], de tels réseaux se sont créés récemment dans plusieurs pays est-européens : Bulgarie, Pologne, Slovaquie, Roumanie, Hongrie, et récemment Ukraine. Monter des projets en commun, échanger les bonnes pratiques, réfléchir ensemble, se former, tirer parti des expériences des villes et régions les plus avancées, etc., sont autant d’exemples d’activités de ces nouvelles structures. Par exemple, des centaines de villes son engagées dans la Campagne européenne “Display” [9] pour l’affichage public des performances énergétiques des bâtiments municipaux (disponible en 20 langues) ou dans la Semaine Européenne de la Mobilité [10].

Les politiques nationales doivent se transformer – même se révolutionner - pour que le rôle des autorités locales et régionales soit mieux reconnu, que des cadres législatifs et incitatifs les encouragent dans les domaines de l’urbanisme, de la construction, de la réhabilitation des constructions et des infrastructures de chauffage et de transport, les financements selon des mécanismes appropriés, des instruments fiscaux, etc. et dans l’autonomie des décisions qui garantissent les possibilités d’initiative et d’expérimentation. La coopération constructive – celle qui relève d’une action collective verticale entre les territoires - est indispensable. C’est pourquoi des réseaux internationaux spécialisés existent, tels que Climate Alliance (climat) [11], ICLEI (développement durable) [12] ou Énergie-Cités (énergie durable) ainsi que des groupes de travail “énergie” d’associations généralistes d’autorités locales ou régionales : Eurocities et le Conseil des Communes et Régions d’Europe.

 Conclusion : les autorités locales et régionales vont devenir les acteurs majeurs de la nouvelle culture énergétique

L’implication des autorités territoriales a une influence très importante sur le développement local, les activités économiques, les emplois, l’environnement local et global, la qualité de la vie, l’attractivité des villes et la réduction de la précarité énergétique des habitants en difficulté. Elles influencent les politiques nationales et européennes par leur capacité à démontrer pratiquement que d’autres voies sont possibles. Pour toutes ces raisons et en synergie avec leurs actions contre le changement climatique, les autorités locales et régionales vont renforcer progressivement leur rôle de leadership autour de politiques énergétiques locales principalement orientées vers l’exploitation de leurs potentiels : celui des économies d’énergie avant tout, qui est le moins coûteux à exploiter et qui est très important (plus de 50% des consommations actuelles) dans les bâtiments, les transports, l’urbanisme, puis l’utilisation des ressources énergétiques renouvelables locales, l’amélioration des rendements énergétiques grâce à la production combinée d’électricité et de chaleur.

Elles se doteront en nombre croissant des outils pour imaginer leur futur énergétique, partager une vision commune de l’avenir de leurs territoires, construire et mettre en œuvre une politique énergétique intégrée à tous les domaines de la vie locale, mesurer les progrès obtenus, par exemple au travers d’une certification du management énergétique, comme l’ont déjà engagé de nombreuses villes, en particulier suisses, allemandes, et françaises [13].

Elles vont s’engager volontairement, comme la Commission européenne vient de le leur proposer dans le cadre de la Convention des Maires, à atteindre et dépasser les objectifs énergétiques de l’Union européenne [14]. Cela impliquera des changements de comportements individuels et collectifs, dont naturellement ceux des décideurs locaux, régionaux et nationaux. C’est à ce prix que l’on pourra réellement “changer la donne” et traduire dans les faits la “nouvelle culture” de l’énergie.

Gérard Magnin -

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Cet article a été rédigé pour le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux du Conseil de l’Europe, de décembre 2007 sous le titre “Action publique territoriale : vers une nouvelle culture de l’énergie”. Seules des modifications marginales y ont été apportées en décembre 2008 pour le rendre compatible avec l’encyclopédie, mais sans actualisation sur le fond.

[4Groupement Intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du Climat

[5Intergovernemental Panel on Climate Change

[6“Challenge 3 : Towards a new energy paradigm. A major challenge for European regions in the coming decades will be to successfully implement the change of energy paradigm. For more than one century, the availability of oil and, more recently, of natural gas, has made possible the considerable expansion of industrial countries.World resources of oil and natural gas are progressively being depleted in a context where the expansion of large emerging economies is creating a strong growth in demand. As resources become more and more scarce, their price is likely to considerably increase. Changing the European energy paradigm can only be achieved in a long-term perspective with considerable efforts and investments. Territorial impacts are likely to be very significant. These have to be anticipated in the context of spatial development policies in order to avoid conflicts and insufficient productivity. The main objectives of spatial development policies in facilitating the change of energy paradigm are aiming in particular to increase the energy efficiency of existing systems, and to favour the development and optimise the use of renewable energy sources”. (extract of the INTERREG 4C Operational programme) – www.interreg4C.net (en anglais seulement).]

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 Bibliographie

  • Claude Chalon, Denis Clerc, Gérard Magnin, Hervé Vouillot, “Pour un nouvel urbanisme. La ville au coeur du développement durable", Éditions Yves Michel et ADELS Revue Territoires, 2008
  • Gérard Magnin, Freiburg, Vâxjô, Gûssing, des villes en réseau, L’atlas du Monde Diplomatique, octobre 2007
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* Benjamin Dessus, {[Introduction à l’énergie->10]}, (n° 24°) * Bernard Laponche, {[Les consommations d’énergie dans le monde->32]}, (n° 25) * Bernard Laponche, {[Les consommations d’énergie en France->33]}, (n° 38/39) * Pierre Calame, {[Le territoire, brique de base de la gouvernance->40]}, (n° 55)
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