Résumé
Face aux menaces climatiques, à l’opposé de ceux qui refusent d’y croire ou qui baissent les bras, une autre voie s’offre à nous : celle d’organiser notre avenir autrement et collectivement vers une transition énergétique aboutissant à des modes de vie différents mais « désirables ».
La nécessité d’une prise de conscience des citoyens que nous sommes tous est donc indispensable.
Pour ces raisons, des expériences, des avancées collectives ou individuelles, amorces d’une large adhésion sociale, sont à repérer et à encourager.
Le « Défi familles à énergie positive » en est un exemple.
Après avoir décrit cette démarche faite de petits groupes volontaires qui s’épaulent pour organiser des économies d’énergie dans leur habitat, l’article s’appuie sur le témoignage d’un réseau local dans le troisième arrondissement de Paris.
Il se propose en conclusion d’en tirer des enseignements pour le futur.
Auteur·e·s
Jean-Pierre Piéchaud est urbaniste. Il a successivement travaillé dans l’aménagement et la planification urbaine, le logement, l’environnement urbain, la politique de la ville et du
développement social urbain, avant de se consacrer à la dimension territoriale du développement durable.
Il est membre fondateur de 4D ainsi que de l’Encyclopédie du développement durable.
Ingénieur Supélec.
Son activité professionnelle s’est exercée dans l’industrie sidérurgique (à Fos, Allevard, Shanghai et Paris), pour le pilotage des investissements industriels, l’exploitation de centrales et réseaux électriques, la direction de filiales, l’achat groupé d’énergie.
Cette activité professionnelle très concernée par la problématique de l’énergie et par l’étude du futur l’a conduit aujourd’hui à une action militante sur la nécessaire prise de conscience par le grand public de la dérive climatique et des actions possibles pour son atténuation.
Personne n’ignore aujourd’hui la menace climatique et ses conséquences potentiellement dramatiques. Mais au delà du constat négatif les actions entreprises pour corriger significativement, les comportements ne semblent pas à la hauteur des besoins. Certains (de moins en moins) se réfugient dans le déni, d’autres baissent les bras devant une action jugée impossible, d’autres se désinvestissent sous prétexte que l’action individuelle n’est pas à la hauteur de ce problème planétaire, arguant de plus qu’ils ne recevront aucune reconnaissance pour cette action en direction de la communauté humaine, d’autres encore pointent du doigt la paille dans l’œil du voisin, d’autres encore affichent, avec une plus ou moins bonne foi, une confiance sereine dans les progrès futurs de la technologie. Cette classification est caricaturale mais elle exprime la diversité des difficultés qui empêchent une action collective efficace.
C’est la raison pour laquelle des projets, des expériences, des avancées collectives ou individuelles réussies doivent être repérées et encouragées. La démarche « Familles à énergie positive » en est un exemple.
Cette démarche basée sur les éco-gestes gratuits est une réussite. Elle répond en effet à plusieurs des objections : elle libère une action individuelle avec des résultats significatifs ; elle montre que le prix à payer pour obtenir une certaine efficacité est faible, souvent négatif ; elle donne goût à une action « pour la communauté » car l’action est visible « par la communauté ». Il s’agit là d’un premier pas, presque un préalable quasi incontournable aux actions plus coûteuses, plus compliquées ou plus collectives.
Après avoir rappelé succinctement les bases qui justifient l’importance du sujet « énergie » dans cette question de climat, nous décriront la démarche « Familles à énergie positive », son évolution et l’expérience parisienne du 3e arrondissement. Nous essayerons d’en tirer des conclusions pour le futur.
La question de « l’énergie » est primordiale et les solutions existent.
Les rapports du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du climat) nous montrent que des bouleversements climatiques liés à l’effet de serre sont inéluctables si nous ne prenons pas des mesures urgentes.
La preuve est aussi apportée que les activités humaines sont en grande partie responsables de ce phénomène, lui-même résultant en très grande proportion de l’utilisation des énergies fossiles.
Il convient de transformer profondément nos modes de faire dans ce domaine et c’est tout à fait possible.
Parmi les cinq scénarii retenus comme les plus significatifs dans le récent débat sur la Transition Energétique celui de l’association négaWatt et celui de l’Ademe ont mis en évidence que le gisement de progrès le plus grand et le plus accessible pour limiter la consommation d’énergies fossiles était la mobilisation des capacités de sobriété et d’efficacité énergétique. Ce gisement représente plus de 50% de nos consommations actuelles.
L’Association Négawatt propose pour cela un projet de société en trois points :
- Réduire les consommations à la source en supprimant tous les gaspillages.
- Mettre en œuvre tous les projets technologiques possibles allant dans le sens de la réduction des volumes (amélioration des rendements des techniques de production de l’énergie – notamment les moteurs thermiques –, utilisation de matériels performants pour l’utilisation de l’énergie, etc.)
- Développer pour les besoins restants les énergies renouvelables qui ne produisent pas de gaz à effet de serre (l’éolien, le solaire, la géothermie, les énergies marines…)
Bien sûr il vient à l’esprit que ces actions doivent en premier lieu relever de programmes de politiques tels que l’organisation des transports ou l’isolation des bâtiments, secteurs qui sont à l’origine d’une part importante de nos consommations énergétiques. Mais pourquoi demander à l’Etat une motivation que nous n’aurions pas nous-mêmes dans notre vie quotidienne ?
Au-delà de ces actions indispensables qui relèvent de l’action publique, les initiatives individuelles ou collectives limitant l’usage des énergies fossiles sont d’une très grande importance et d’une très grande efficacité. La nécessité d’une prise de conscience des citoyens que nous sommes tous en vue d’une profonde transformation de nos habitudes et de nos modes de vie apparaît indispensable si l’on pense que la transition énergétique est une nécessité de notre époque. La prise de conscience individuelle est même le préalable à une action politique pérenne.
Le défi « Familles à énergie positive »
Il s’agit d’une démarche simple qui se développe aujourd’hui dans beaucoup de Régions françaises. Orchestrée sur un site internet par l’association Prioriterre elle se donne pour objectif, sur le principe de petits groupes de personnes volontaires, de se mobiliser dans une démarche concrète, pour limiter les émissions de gaz à effet de serre en réduisant leurs consommations énergétique dans leur vie de tous les jours, dans leur habitat.
Le principe est simple : des petites équipes de « familles » se regroupent en vue de limiter leurs consommations à la maison : chauffage, eau chaude, équipements (cuisine, réfrigérateur, ordinateurs…), petites améliorations de l’isolation, etc. Le principe étant de ne compter que des actions quasi gratuites, ce qui exclut les investissements lourds de rénovation. Les progrès par rapport à l’année précédente sont mesurés par le relevé des compteurs. Un « défi » est organisé entre les équipes au cours de l’hiver entre octobre et mai. Un podium et des prix symboliques sont remis en fin de période.
L’idée est de confronter les réflexions et expériences de chacun et de progresser ensemble. Chaque équipe se donne un « capitaine ». Quelques réunions permettant des échanges dans un esprit convivial, sont organisées au cours de la période du défi.
Il est important que le réseau local soit encouragé par la collectivité . Les Agences Locales de l’ Energie, ainsi que les acteurs du territoire qui doivent elle-mêmes s’impliquer. Elles font en général appel à un organisme conseil pour apporter informations et aide aux équipes locales.
Chacun s’engage à suivre régulièrement sa consommation (la plupart du temps d’électricité et de gaz). Ces consommations sont enregistrées sur le site internet et prises en compte par un logiciel général qui corrige toutes les données fournies en les rapprochant d’informations climatiques générales collectées par ailleurs. Ce logiciel fournit à chacune des équipes et à chacun de ses membres, un indicateur de progrès simple permettant de chiffrer tout au long de la période et à la fin de l’hiver, les économies obtenues en équivalent kWh.
Une logistique succincte est assurée. La formation des « capitaines » est prise en charge par l’animateur local et le coordinateur local ; un guide des « 100 éco-gestes » est publié qui suggère un certain nombre d’actions d’économies quotidiennes ; des techniciens en économies d’énergie sont disponibles en tant que conseillers.
Familles à énergie positive est né au cours de l’hiver 2008/2009 à partir de premières initiatives en Savoie et tout particulièrement à Chambéry. Le réseau s’est ensuite étendu en 2009/2010 dans différents territoires savoyards (Chambéry Métropole, La Vanoise, la Tarentaise, Albertville, Voglans…) Puis en 2010/2011 dans les Régions Rhône - Alpes et Centre.
Au terme de l’hiver 2012/2013, on, pouvait constater que 17 Régions étaient concernées ; plus de 5000 foyers et environ 15000 personnes avaient participé à l’expérience ; qu’en moyenne, les économies d’énergie domestiques pouvaient se chiffrer à 12%, soit environ 200 € par foyer ; que globalement plus de 8 000 000 de kWh avaient été économisés, soit la consommation annuelle d’une agglomération de 10000 habitants.
Le témoignage d’un réseau local : le 3 ème arrondissement de Paris
L’idée est née dans le cadre d’un groupe de réflexion d’habitants de l’arrondissement qui existe depuis plusieurs années à la Mairie du 3 ème autour de la thématique du développement durable et du « futur » de ce quartier du centre ancien de Paris, animé par une élue du Conseil d’arrondissement.
Ce petit groupe recherchait des moyens collectifs pour motiver et faire avancer l’action individuelle sur la thématique du « futur ». Il a d’abords testé la méthode du bilan carbone individuel et le partage en groupe des résultats. Puis il a découvert Familles à énergie positive et l’association Prioriterre qui a permis l’accès à son site en mode test pour l’hiver 2011/2012 en coopération avec l’Agence Parisienne du Climat. Les sept familles du groupe ont constitué cette première équipe pilote. Le bilan sur la première année a montré 16 % d’économies par rapport aux consommations globales d’énergie du groupe l’année précédente.
Fort de cette première réussite, un deuxième défi a été lancé sur le 3ème arrondissement en 2012/2013. Le projet a été soutenu par la municipalité du 3ème et appuyé par l’Agence Parisienne du Climat (APC) et l’association Prioriterre. Elle a réuni 5 équipes d’une dizaine de personnes chacune, prêtes à jouer le jeu du défi Familles à énergie positive.
À l’exception d’une des équipes du départ qui n’a pas fonctionné par la suite, les autres se sont organisées et ont poursuivi tout au long de l’hiver, avec des réunions du groupe, de nombreux échanges par mails et un fonctionnement comportant des aspects souvent conviviaux et ludiques. Le bilan global des 50 familles réunies pour ce deuxième défi a montré des économies d’énergie de 26 % par rapport à l’année précédente.
Forte de ce résultat et pour l’hiver 2013/2014 l’Agence Parisienne du Climat, les Acteurs Paris Durable, les bailleurs sociaux RIVP, Elogie et l’équipe du 3 ème arrondissement ont lancé le troisième défi sur l’ensemble de la région parisienne. Les actions de militantisme se sont poursuivies dans le 3 eme. Au total sur Paris 6 équipes, soit 80 familles se sont inscrites dont 26 dans le 3 eme. L’ hiver 2013/2014 a été l’occasion d’un travail d’animation variable suivant les équipes, mais au sein de certains groupes encore plus vivant, très convivial et même amical, comportant des réunions chez les uns et les autres permettant de mieux se connaître, d’échanger de « bonnes pratiques » avec un résultat plus satisfaisant encore. Le progrès annuel moyen de consommation de kWh sur l’ensemble des 80 familles a été de 22 %.
Alors que le nombre de participants ne cesse d’augmenter d’année en année, pour cette 4 ème édition l’Agence Parisienne du Climat a le plaisir d’accueillir de nouveaux partenaires. Ainsi les mairies des 2 ème, 10 ème, 11 ème, 13 ème, 17 ème et 18 ème arrondissements, la régie de quartier Passerelles 17 ainsi que la société EcoFrugal Project rejoignent la mairie du 3 ème , les Acteurs Paris Durable ainsi que les bailleurs sociaux Elogie et RIVP.
Le groupe de militants du 3 ème a décidé en parallèle d’élargir son champ de réflexion et d’action à d’autres domaines concernant l’énergie et notre futur commun, en vue de sensibiliser la population et de préparer une mobilisation plus large.
En conclusion
Ce que ce « défi Familles à énergie positive » nous apprend :
- pour peu que l’argument « bon pour la planète » ne soit pas oublié à coté de l’argument « bon pour le portefeuille », le défi collectif apporte un niveau de motivation inaccessible à l’individu isolé.
- La reconnaissance sociale est indispensable pour une mobilisation sur un enjeu collectif.
- Sobriété et efficacité énergétique constituent un gisement d’économies d’énergie vraiment important. Nous ne voyons ici que la face immergée de l’iceberg avec des actions à coût négatif (car les éco-gestes économisent de l’argent). Cela conforte l’idée qu’il y a beaucoup d’actions à coût faiblement positifs mobilisables en lieu et place de la production d’énergie par les moyens classiques polluants.
Dominique de Rotalier & Jean-Pierre Piéchaud
Bibliographie
- SIRGUEY Fanny, JOLY Odile et LA BRANCHE Stéphane, Analyse qualitative du défi Familles à énergie positive : motivations et pérennité des gestes, Université de Savoie et Science PO Grenoble, 2013
- ADME Rhone Alpes, Ambassadeurs de l’énergie ; campagne de lutte contre la précarité énergétique,2013
- Prioriterre, Avec Familles à énergie positive, tous engagés pour le climat, 2013
- Agence Parisienne du Climat, Familles à énergie positive, bilan édition 2012 -2013, juin 2013
dans l’Encyclopédie
* Michel Mousel, L’effet de serre, c’est la vie, N° (26) , janvier 2007.
* Michel Mousel, La dérive du climat, une crise écologique, N° (27) , janvier 2007.
* Marie Chéron et Fanny Déléris, Limites sur les ressources énergétiques et impacts climatiques : les controverses sur le mix énergétique futur, N° (174) , novembre 2012.
* Laurent Meunier et Eric Vidalenc, Scénarios énergétiques ADEME 2030-2050 pour la France, N° (208) , juin 2014.
- Prioriterre, Familles à énergie positive : www.familles-a-energie-positive.fr
- info document (PDF – 480.1 kio)