Ile de France 2050 : la dimension territoriale du défi post carbone

7 avril 2010

Résumé

Réduire d’un facteur 4 les émissions de gaz à effet de serre de la métropole parisienne suppose une coordination des acteurs et l’élaboration d’une stratégie globale permettant de surmonter les contradictions entre des objectifs sectoriels tous respectables et de faire le pont entre court terme et long terme. Cette contribution permet d’appréhender les implications concrètes d’une politique de métropole post-carbone en pointant sept « questions » en forme de problèmes à résoudre. Elle évoque quelques outils d’aide à la décision à partir de l’exemple de la région Nord Pas de Calais et se prononce également en faveur d’une reconstruction des modes de gouvernance.


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La nouvelle classification de cet article est :

3.3- Politiques urbaines
5.3- Changement climatique

Auteur·e·s

Weill Frédéric

Consultant en prospective territoriale et stratégies de développement, Frédéric Weill est membre
de l’association EDIF.


Poussard Emmanuel

Ingénieur, Emmanuel Poussard est délégué général de l’association EDIF (Energie Durable en
Île-de-France - www.edif.asso.fr ).


Avec les contributions de Julien Guillou, Héléna Busson, Meike Fink, Bruno Peuportier.

 Avant propos

Réduire de 80% (facteur 4) les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, tel est l’un des objectifs du Schéma Directeur Régional d’Ile de France (SDRIF), adopté, à une large majorité, par le Conseil régional le 25 septembre 2008. Nous sommes donc à 3 mandats régionaux de la métropole post-carbone. Il faut dès aujourd’hui que la Région s’interroge sur les logiques profondes qui structurent le développement et le fonctionnement actuels de l’Ile-de-France.Nous souhaitons, au travers de ce texte, mettre en avant le fait qu’une grande partie du défi réside dans la capacité des territoires et des acteurs à penser et à agir de manière transversale et pluridisciplinaire. Il s’agit bien d’inventer un nouveau modèle de développement.Sur l’approche technique, nous nous reconnaissons dans la démarche Negawatt. [1]Le scénario NegaWatt, développé par des dizaines d’experts et de praticiens de l’énergie membres de l’association, repose sur des techniques prouvées et sans risque. Il nous invite à poser un regard différent sur l’énergie, en nous interrogeant d’abord sur nos propres besoins -sobriété énergétique- puis en cherchant à y répondre le plus efficacement possible -efficacité énergétique- et, enfin, en faisant appel aux sources d’énergie les moins problématiques -énergies renouvelables-. Nous nous retrouvons également dans l’approche économique et politique d’Hermann Scheer [2] : passer d’une économie fossile et fissile vers une économie du solaire. C’est à travers ces différents principes que nous nous proposons ici de réfléchir à la dimension spatiale de la métropole post carbone.

 Mettre en œuvre la transversalité

Une grande partie de la capacité de l’Ile de France à réussir sa mutation vers une métropole post carbone réside dans l’aptitude de ses acteurs à penser et à mettre en œuvre la transversalité [3]. Pourquoi ?

La démarche Negawatt (extraits du scénario 2006)

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La « démarche NegaWatt » est fondée à la fois sur une approche différente et sur des techniques prouvées et sans risque.

La sobriété énergétique consiste à réduire les gaspillages par des comportements rationnels et par des choix individuels et sociétaux. Par exemple, profiter au maximum de la lumière naturelle pour s’éclairer, bien régler la température de consigne du chauffage, privilégier les aliments de saison et produits localement, organiser intelligemment l’espace. Cette sobriété est en quelque sorte l’opposé de notre ébriété énergétique actuelle !
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L’efficacité énergétique vise à réduire les pertes lors du fonctionnement et à l’exploitation. Le potentiel d’amélioration de nos bâtiments, de nos moyens de transport et des appareils que nous utilisons est considérable : il est possible de réduire d’un facteur 2 à 5 nos consommations d’énergie et de matières premières, à l’aide de techniques déjà largement éprouvées, avec un « temps de retour » économique souvent très raisonnable.

Les énergies renouvelables, par définition inépuisables, bien réparties et décentralisées, ont un faible impact sur notre environnement ; elles sont les seules qui permettent de répondre durablement à nos besoins en énergie sans épuiser notre planète.

Ces trois éléments sont complémentaires et indissociables : promouvoir l’un sans se soucier des autres n’a pas de sens.

Tout d’abord, il nous paraît nécessaire de sortir des logiques sectorielles, qui ne permettent pas d’appréhender de manière suffisamment pertinente un territoire dans sa globalité, à une échelle de quarante ans et sur une question aussi fondamentale et structurante que celle de l’énergie. Une question aussi complexe que celle du facteur 4 impose de dépasser le cadre actuel de l’exercice des compétences, essentiellement sectorielles, des collectivités.

Deuxième raison, la mise en œuvre d’une stratégie régionale visant l’atteinte du facteur 4 aura des effets indirects considérables dans un grand nombre de domaines : les déplacements, l’emploi et les conditions de vie, l’activité économique… Il n’est évidemment pas question de choisir entre la lutte contre la crise économique actuelle et la stratégie « facteur 4 », pas plus que cette dernière ne doit faire l’impasse sur la dimension sociale de la question énergétique. Il est indispensable d’appréhender dès aujourd’hui ces problématiques croisées, et de poser les bases d’un nouveau projet collectif.

 Les outils actuels de l’Ile de France face au défi du facteur 4

Aujourd’hui, il n’existe aucun texte global décrivant officiellement la stratégie francilienne en la matière. Deux documents très importants sont cependant à l’étude :

  • Le projet de Schéma Directeur Régional d’Ile-de-France (SDRIF), approuvé par le Conseil régional mais en attente de validation par le Conseil d’Etat, propose une vision d’un avenir « souhaitable » pour l’Ile de France à l’horizon 2030, et s’inscrit dans la perspective de l’atteinte du facteur 4. Le SDRIF décline cette vision en une série d’orientations définissant les priorités de l’aménagement francilien.
  • Le projet du Grand Paris s’interroge sur le projet métropolitain à 2050. Les éléments connus de ce projet n’apportent qu’un éclairage partiel sur la question énergétique.

Ces deux approches sont évidemment fondamentales dans la réflexion sur la métropole post carbone, dans la mesure où elles expriment une vision politique de l’avenir à long terme de l’Ile de France. Certaines contradictions entre ces deux projets sont certes à relever, mais le plus problématique réside plutôt dans la faiblesse de leur approche stratégique. Au-delà des grands projets qui se dessinent, comment agir sur la logique profonde d’une métropole jusqu’ici structurée par l’accès à une énergie bon marché ? Comment engager les acteurs franciliens dans une refonte de leurs modes de fonctionnement et d’action sur les territoires ? Comment construire une gouvernance à même d’assurer une approche collective cohérente et efficace ?

 Métropole post carbone et organisation spatiale

Sans prétendre proposer ici des réponses simples à ces questions éminemment complexes, nous allons plutôt tenter de les approfondir et d’apporter quelques éclairages concrets.Le projet de SDRIF, qui vise le facteur 4 en 2030, promeut un territoire devant fonctionner selon les principes du développement durable :

  • Une agglomération densifiée sur le pôle central et les pôles existants, avec un étalement résidentiel maîtrisé,
  • Une articulation harmonieuse et efficace des différentes fonctions de l’espace,
  • Une place renforcée pour les transports collectifs,
  • Un développement solidaire et équilibré, avec notamment le choix d’un rééquilibrage du développement économique vers l’est francilien,
  • L’articulation étroite entre compétitivité économique, qualité du cadre de vie, et besoins de la main d’œuvre locale.La métropole post carbone serait-elle avant tout la métropole des courtes distances et de la densité retrouvée ? Le bilan carbone de l’Ile de France réalisé en 2007 [4] révèle en effet que :
  • Les émissions de gaz à effet de serre [5] dépendent à 38% des transports et 31,5% de l’habitat et du tertiaire. La densité actuelle de l’Ile de France, ainsi que la part importante des transports collectifs dans les déplacements quotidiens, expliquent cette relative sobriété énergétique . [6]
  • La région Ile-de-France représente 19% de la population nationale et 29% du PIB, mais seulement 16% de la consommation nationale d’énergie et 9% des émissions de gaz à effet de serre.
  • En revanche, l’Ile-de-France produit seulement 11% de l’énergie qu’elle consomme.
Virage énergie  [7] : la scénarisation du facteur 4 en Nord Pas de Calais
Dans le cadre des réflexions sur la mise en œuvre du facteur 4 en Nord Pas de Calais, l’association Virage Energie a apporté en 2008 une précieuse contribution au Conseil régional. Pendant plus d’un an, l’association a construit un véritable scénario décrivant la manière dont la région pourrait concrètement diviser par 4 ses émissions de gaz à effet de serre. Construction d’hypothèses sur les tendances d’évolutions démographiques ou économiques à prendre en compte, description des mesures politiques engagées, chiffrage secteur par secteur des efforts de réduction nécessaires.

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Bien entendu, il n’existe pas une seule stratégie pour atteindre le facteur 4, et le travail  [8] réalisé par Virage Energie ne prétendait pas tracer la seule voie possible. En revanche, il s’agit d’un outil d’aide à la décision politique très précieux, à partir duquel les acteurs régionaux peuvent préciser et affiner leur stratégie d’action pour atteindre ce difficile objectif qu’est le facteur 4.

Agir sur la performance de l’organisation spatiale est un levier essentiel dans le cadre d’une stratégie facteur 4. C’est à ce stade que les choses se compliquent. En effet, comment, à partir d’une situation actuelle jugée plutôt satisfaisante par rapport au reste du territoire national, passer le cap très ambitieux d’une division par 4 des émissions de gaz à effet de serre ? Le projet de SDRIF n’est pas très explicite sur les moyens à engager et les obstacles à lever pour atteindre cet objectif.

Une autre difficulté réside dans le manque de données chiffrées permettant d’objectiver la situation actuelle de l’Ile de France et de représenter concrètement la trajectoire à suivre pour, année après année, parcourir le « chemin du facteur 4 ».

La gestion des questions énergétiques dépend de nombreuses politiques -énergie, habitat, transport, économie, action sociale, santé…- et de différents niveaux de collectivités -communes, intercommunalités, département, région, Etat-. Aujourd’hui, les approches énergétiques sont fragmentées entre ces acteurs, qui n’agissent pas tous à la même échelle ni selon les mêmes logiques.

Il semble donc indispensable de dépasser ces limites afin de pouvoir effectuer les choix qui s’imposent pour engager l’Ile de France dans la voie de la sobriété.

 Quels choix et arbitrages pour la métropole francilienne de demain ?

Réussir le défi d’une métropole spatialement adaptée aux nouveaux défis énergétiques, c’est donc en premier lieu soulever la question de la coopération entre collectivités et de l’efficacité des politiques publiques. C’est aussi s’attaquer à un certain nombre de questions clés sur l’organisation de l’espace, parmi lesquelles :

  • La question de la densité résidentielle. Depuis les années 1980, le phénomène de diffusion de l’habitat individuel en périphérie entraîne un allongement des distances quotidiennes de déplacement, et un accroissement des consommations énergétiques. De plus, l’habitat individuel est davantage consommateur en énergie que le logement collectif (en moyenne 174 KWh/m2/an, contre 125 KWh/m2/an  [9].). Comment donc inverser une tendance qui conduit à une progression continue des émissions de gaz à effet de serre ? Peut-on se contenter d’attendre le retour en grâce de l’habitat groupé, conséquence hypothétique d’une flambée durable des coûts énergétiques ?
  • La question de l’organisation des fonctions de l’espace. La logique résidentielle devient de plus en plus structurante dans le fonctionnement des territoires périphériques, tant en termes d’activités et de revenus générés que d’exigence accrue pour la préservation du cadre de vie. Cette logique conduit « naturellement » les décideurs locaux à repousser vers la périphérie les activités économiques génératrices de nuisances. Ainsi, l’exemple du fret et de la logistique est révélateur : au nom de la préservation de la qualité de vie, la « périphérisation » des entrepôts de logistique entraîne une hausse des distances parcourues par les poids lourds, ce qui alourdit le bilan global des émissions de gaz à effet de serre.
  • La question des modes de déplacements. La réduction substantielle de la part de l’automobile dans les déplacements quotidiens constitue un défi de première importance, en particulier en Grande Couronne, où la part modale de l’automobile approche les 60% pour les déplacements quotidiens. C’est là que l’habitat est le plus dispersé, et que l’offre en transports collectifs est la plus insuffisante. Outre la nécessité de revenir à des modes d’occupation de l’espace plus compacts, se pose la question de la capacité à développer l’offre de transports collectifs : comment financer demain des projets annoncés et retardés depuis plusieurs décennies ?
  • La question de la gouvernance de la mobilité L’organisation des transports collectifs se situe à la croisée de plusieurs compétences : transport, voirie, urbanisme, parcs de stationnement, accessibilité, mobilier urbain, pouvoir de police de la circulation et du stationnement, etc. En Ile-de-France, elle souffre d’un éclatement de compétences entre les collectivités, avec notamment la question, pour l’heure non tranchée, de la ligne de partage entre le réseau régional et celui délégué à un échelon local. Ainsi, le statut d’Autorité Organisatrice de Proximité est actuellement à l’étude ; il permettrait la mise en place d’un échelon nécessaire pour bien organiser les dessertes de proximité dans le cadre d’une politique globale de transports collectifs à l’échelle d’un réseau de bassin de vie local. La clarification de cette gouvernance des transports collectifs semble une étape indispensable à la mise en œuvre d’une offre suffisamment performante et efficace pour répondre au défi d’une mobilité plus durable.
  • La question des grands équilibres régionaux. Cette question est au cœur des débats actuels sur le projet de SDRIF et le Grand Paris. Faut-il en priorité appuyer le développement du quartier d’affaires de la Défense, moteur du développement international de la capitale, ou viser le rééquilibrage vers l’Est, afin de réduire les distances domicile – travail ? Faut-il viser le renforcement des grands pôles d’équilibre régionaux, ou accompagner la demande « naturelle » des acteurs économiques, qui tendent à se localiser à proximité immédiate du centre de Paris ?
  • La question du rôle des acteurs économiques. Quelle peut être la place des acteurs économiques dans la construction de la métropole post-carbone ? Au-delà de certaines démarches volontaires, il faut bien admettre que l’association des acteurs économiques à la construction d’une métropole durable constitue un défi qui reste à relever. Les logiques et préoccupations territoriales des collectivités ne sont pas les mêmes que celles des artisans, des PME ou des grands groupes industriels ; le rapport au temps n’est pas non plus le même. Dans un contexte de profonde crise économique, il est logique que, faute d’une stratégie articulant clairement les besoins et les intérêts du court terme avec les contraintes, les risques et les opportunités du long terme, ce dialogue inter acteurs ne soit pas des plus aisés à engager.
  • La question de la précarité sociale et du coût de l’énergie. Cette dimension économique se retrouve également dans la question du coût que représente l’accès à l’énergie pour les ménages. Dans un contexte de coût croissant d’accès à l’énergie, les dépenses nécessaires au maintien d’un confort acceptable dans son logement (chauffage, éclairage, eau chaude, électroménager, etc.) représentent un poids de plus en plus important dans les budgets familiaux. Pour les occupants d’un habitat de faible performance thermique, les difficultés récurrentes à se chauffer peuvent être source d’endettement, d’exclusion et d’insalubrité. Que l’on soit propriétaire ou locataire, de faibles ressources rendent en effet difficile voire impossible toute rénovation immobilière, débouchant dès lors sur des situations de « précarité énergétique ». En dehors des dégradations souvent irréversibles du bâti et d’incidences néfastes sur l’environnement, les dommages sociaux, sanitaires et psychologiques sur les personnes sont évidents, mais restent encore mal évalués. La stratégie francilienne devra intégrer cette dimension essentielle : comment donner la priorité aux ménages les plus précaires ? Faute de quoi la transition post carbone risquerait d’être socialement très douloureuse, et mal comprise par la population.
La précarité énergétique : une obligation de mobilisation transversale
De nombreux acteurs -collectivités territoriales, opérateurs énergétiques, services et agences de l’état, travailleurs sociaux, acteurs du logement,etc. Sont concernés par la question de la précarité énergétique, qui concerne plusieurs domaines à différents niveaux d’intervention : l’énergie et l’environnement, l’amélioration de l’habitat, l’action sociale, la santé publique.

Des dispositifs nationaux et locaux existent, qui concernent le soutien financier aux travaux, l’allègement des charges, le remplacement des appareils électriques, etc. Mais les actions sont encore limitées et essentiellement palliatives, et trop souvent les acteurs restent isolés dans des démarches cloisonnées.

Face à ces constats, à l’initiative de l’association EDIF, plusieurs partenaires se
mobilisent pour lancer une expérimentation locale de lutte contre la précarité énergétique sur le quartier Flandre, dans le 19ème arrondissement de Paris.



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Ce quartier de 40 000 habitants est classé « politique de la ville ». Son réseau
dynamique d’acteurs - institutions, bailleurs sociaux, associations de quartier, etc. -, sa taille, la diversité de ses situations, les nombreux partenariats locaux développées, en font un territoire pilote idéal.

Dans une perspective de réduction globale de la précarité énergétique, il s’agit de mieux connaître le phénomène actuel, de réfléchir collectivement aux moyens d’agir, et de mettre en œuvre des actions concrètes impliquant l’ensemble des acteurs concernés.

Un premier travail de recueil et d’analyse d’informations générales sera mené afin de mieux appréhender le quartier Flandre -aspects socio-économiques, cadre de vie, etc. -et les acteurs qui y interviennent. Associés à la phase de diagnostic, tous les acteurs seront invités à participer à des groupes de travail, dont le but sera de faire émerger des pratiques adaptées aux particularités du territoire.

Regroupées au sein d’un plan de lutte contre la précarité énergétique, ces actions pourraient concerner par exemple des formations pour l’identification et l’orientation des ménages, à destination des professionnels travaillant à leur contact, des outils de communication pour les professionnels, des dispositifs de financement de travaux, des opérations d’auto-réhabilitation partagée, des incitations financières ponctuelles et ciblées, ou encore des outils d’information et de sensibilisation pour les publics en situation de précarité énergétique.

 Un projet global pour dépasser les contradictions

A travers ces différentes réflexions, des contradictions peuvent émerger entre différents niveaux d’objectifs. Déréglementer l’urbanisme pour mieux répondre à la crise du logement, ou bien contraindre le développement résidentiel diffus au nom de l’efficacité énergétique ? Optimiser le pouvoir d’attraction économique de la métropole francilienne, ou bien viser la diminution des distances quotidiennes de déplacements ? Améliorer la qualité du cadre de vie et de l’environnement résidentiel, ou bien s’imposer une plus grande mixité fonctionnelle, certes potentiellement source de nuisances locales mais également dimension essentielle de la métropole des courtes distances ?Aborder la question énergétique à travers la clé d’entrée spatiale, c’est aborder cette dimension potentiellement conflictuelle des choix de développement des territoires. Non pas que l’objectif « facteur 4 » soit condamné à entrer en contradiction avec l’objectif d’amélioration du cadre de vie ou de renforcement de l’attractivité économique, mais que la construction d’une stratégie globale apparaît incontournable.

Construire des logements ou préserver l’agriculture ?
. Cet intitulé volontairement provocateur ne vise pas à opposer ces deux objectifs, mais à illustrer le type de contradictions auxquelles les acteurs franciliens sont aujourd’hui confrontés.

Face au très important déficit en logements que connaît l’Ile de France depuis plusieurs années, la priorité de l’Etat et du Conseil régional est d’inciter les collectivités à redoubler d’efforts en termes de construction de logements.

Cela conduit à encourager le développement résidentiel de communes de seconde couronne francilienne qui n’auraient pas vocation à se développer si l’on suivait la prescription du projet de SDRIF en faveur d’un territoire plus compact. Faute d’une vision globale suffisamment claire et partagée, la mise en œuvre d’un principe louable -répondre aux besoins de logements - conduit à encourager un développement fortement consommateur d’espaces agricoles, et peu compatible avec les impératifs énergétiques des prochaines années.

Apparaît donc la nécessité de bâtir une stratégie globale articulant à la fois la dimension spatiale, afin de concilier la performance du système régional et les logiques locales, et la dimension temporelle ; afin de préparer le long terme sans sacrifier le court terme. Ces différentes réflexions soulèvent la question du projet régional et de la gouvernance.L’adhésion collective à un objectif, la métropole post carbone, pourrait être le point de départ d’une reconstruction progressive des modes de gouvernance :

  • Des approches davantage territoriales que thématiques, avec la généralisation des approches transversales, inter-institutions et inter services ;
  • L’introduction du long terme dans la pensée politique et l’action des collectivités : la métropole post carbone est un défi qui se prépare 40 ans à l’avance, et nécessite qu’une trajectoire précise soit suivie année après année ou mandat par mandat ;
  • L’engagement autour de règles du jeu partagées, et l’adoption d’outils de pilotage et de suivi efficaces ; avec la nécessité un pilote légitime pour donner l’impulsion et donner une cohérence à l’action collective.
Un exemple d’organisation partenariale de gouvernance : le cas de Nord Pas de Calais
. Si plusieurs Conseils régionaux réfléchissent depuis plusieurs années à la manière d’engager des stratégies de développement concertées et partenariales sur leur territoire, la région Nord Pas de Calais apparaît à cet égard particulièrement avancée. Pour assurer la mise en œuvre concrète de son Schéma Régional d’Aménagement du Territoire – SRADT - , le Conseil régional s’est engagé dans la réalisation de Directives Régionales d’Aménagement – DRA - .

Ces DRA ont pour objet la traduction territorialisée et opérationnelle des orientations du SRADT, dans le cadre d’un partenariat étroit avec les collectivités locales. Ainsi, depuis plus d’un an, le Conseil régional est engagé auprès de ses partenaires dans la construction collective d’une RDA « maîtrise de la périurbanisation » , qui permettra d’articuler les outils des différentes collectivités, depuis l’échelon régional jusqu’à la commune, au service de l’objectif commun de maîtriser le phénomène de périurbanisation. Un mode de partenariat qui pourrait inspirer l’Ile de France ?

La complexité et la difficulté du chemin à parcourir font planer un double danger sur la construction d’une stratégie efficace : la tentation du découragement -« cela est tellement complexe que nous n’y arriverons pas »-, et la tentation de l’inaction à court terme -« nous validons l’objectif du facteur 4, mais nous reportons les efforts à demain, il y a d’autres priorités à court terme ».

Les élections régionales de 2010 constituent à ce titre une étape clé dans la construction de la métropole post carbone. Au-delà des déclarations d’intention, il semble essentiel que des objectifs concrets puissent être annoncés en termes de réduction des émissions de GES. Ainsi, un objectif annuel de réduction de 3% des émissions de GES, nécessaire pour atteindre le facteur 4 à 2050, pourrait constituer un signal politique fort pour engager sans attendre l’Ile de France dans une stratégie volontariste.

Frédéric Weill et Emmanuel Poussard

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Association Negawatt. [www.negawatt.org]

[2Le solaire et l’économie mondiale, Hermann Scheer, Edition Actes Sud 2001 L’autonomie énergétique, une nouvelle politique pour les énergies renouvelables , Hermann Scheer, Edition Actes Sud 2007

[3Derrière ce terme, nous pensons à la capacité des acteurs et des structures à travailler ensemble, au-delà des périmètres classiques des compétences de chacun, et à inscrire ce travail dans un territoire, celui de l’Ile de France en l’occurrence.

[4Travail engagé dans le cadre de l’expérimentation conduite en 2006-2007 par l’ADEME, pour la mise au point de la méthode Bilan carbone appliquée aux territoires.

[5Si l’on ne prend en compte que les émissions directement liées à la consommation des Franciliens. Cela revient notamment à exclure du calcul les émissions liées au trafic aérien des non-Franciliens, ce qui représente une part très importante du montant total.

[6Il convient cependant de relativiser cette « performance », le mode de calcul ne tenant pas compte des émissions de GES nécessaires pour produire l’énergie importée en Ile de France.

[8Le rapport complet est téléchargeable au lien suivant : www.virage-energie-npdc.org/

[9Source : Institut d’Aménagement et d’Urbanisme, 2007

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 Bibliographie

  • Le solaire et l’économie mondiale, Hermann Scheer, Edition Actes Sud 2001
  • L’autonomie énergétique, une nouvelle politique pour les énergies renouvelables, Hermann Scheer, Edition Actes Sud 2007.
 Lire dans l’encyclopédie
 Lire sur Internet
  • Groupement des autorités responsables de transport www.gart.org
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