Résumé
Cet article examine d’abord la croissance de la population urbaine dans le monde, puis la ville comme creuset de l’innovation économique, sociale et culturelle (qui explique l’attraction qu’elle exerce), mais aussi comme le lieu de divers dysfonctionnements (chômage, difficultés des conditions de vie, pauvreté, tensions et crises sociales). D’où la nécessité d’une action globale, avec un fil conducteur aussi clair que possible. Les grands problèmes qui doivent être pris en compte dans cette action globale sont rapidement passés en revue : l’aménagement et l’urbanisme, l’habitat et le logement, les transports, l’activité commerciale, les problèmes d’environnement, et enfin les coopérations nécessaires au niveau des réseaux de villes. Le chapitre se conclut sur l’idée que le développement durable au niveau des territoires urbains ne peut s’organiser que suivant une approche démocratique et en proposant de nouvelles formes de planification.
L’article reprend le chapitre consacré à la ville de l’ouvrage Développement durable et responsabilité citoyenne°, réalisé sous la direction de Christian Comeliau à la demande de la Ligue de l’Enseignement - Éditions Privat, Le Comptoir des idées, 2012. –
Il se substitue à un précédent article de l’auteur publié en 2006 dans l’Encyclopédie du développement durable.
Auteur·e
Jean-Pierre Piéchaud est urbaniste. Il a successivement travaillé dans l’aménagement et la planification urbaine, le logement, l’environnement urbain, la politique de la ville et du
développement social urbain, avant de se consacrer à la dimension territoriale du développement durable.
Il est membre fondateur de 4D ainsi que de l’Encyclopédie du développement durable.
- 1 – Aujourd’hui, la moitié de la population mondiale vit en ville
- 2 – Les villes, creuset de l’invention économique, de l’innovation sociale et culturelle
- 3 – Mais des villes confrontées à de graves dysfonctionnements
- 4 – En prenant l’exemple de l’Europe et en particulier de la France, quels sont concrètement (…)
- 5 – Pour mettre en œuvre l’ensemble des actions souhaitables dans ces domaines, nécessité d’une (…)
- 6 – Inventer une nouvelle planification locale au service du développement durable ?
- Conclusion
On estime que désormais plus de la moitié de la population mondiale vit dans des zones urbaines alors que les villes n’accueillaient qu’un habitant sur dix en 1900, 3 sur dix en 1950. Et l’urbanisation devrait se poursuivre dans les décennies à venir. À l’échelle mondiale, on compte aujourd’hui trente métropoles de plus de dix millions d’habitants et on pense qu’en 2030, près des 2/3 de la population de la planète vivra en ville.
Ce mouvement concerne toutes les régions du Monde, même si on constate des différences d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre.
- les pays de vieille industrie, l’Europe et l’Amérique du Nord, ont été les premiers à connaître, dès le XIXème siècle, une croissance urbaine importante. Ils comptent aujourd’hui entre 70 et 80% d’urbains.
- Mais le phénomène touche également la Chine, l’Inde et le Brésil dont l’urbanisation est extrêmement rapide : la Chine qui envisage de construire 400 villes d’un million d’habitants ! ; l’Inde, avec Bombay par exemple et ses 22 millions d’habitants, Le Brésil, avec Sao Paulo de plus de 20 millions…
- Et il touche également les pays en voie de développement d’Afrique, d’Asie du Sud-est, d’Amérique Centrale et d’Amérique du sud où d’immenses métropoles s’y développent avec tous les problèmes que pose cette urbanisation galopante.
Evolutions comparées des populations rurales et urbaines
Les villes ont été depuis toujours à l’origine d’innovation économique, sociale, culturelle ; elles sont des lieux d’échanges, de brassage d’idées, de personnes, de biens, d’information ; elles constituent des foyers de civilité, d’urbanité qui en font des ferments de civilisation.
C’est la plupart du temps dans les villes que sont nées les idées nouvelles, qu’il s’agisse de progrès scientifiques, d’innovations technologiques, de réflexions philosophiques, de mouvements politiques ou d’invention sociale. C’est, par exemple, d’abord à Paris que la Révolution de 1789 est née, précédée par un immense mouvement d’idées qui s’était déployé à partir de réseaux européens et en grande partie urbains. Il en est de même de tous les grands mouvements sociaux du XIXème siècle liés à la première révolution industrielle et en même temps du développement du prolétariat qui lui est lié ; la Commune de Paris, en 1871, en étant l’un des aboutissements.
Les grandes conurbations d’aujourd’hui sont les lieux principaux de la production et attirent à ce titre les activités et la population en quête de travail.
Leur logique de fonctionnement s’en trouve bouleversée par rapport aux villes des siècles précédents puisqu’elles n’ont plus pour partenaires les acteurs locaux qu’elles desservaient mais d’autres acteurs économiques extérieurs et d’autres villes. L’internationalisation et la globalisation de l’économie favorisent la polarisation des activités dans les zones urbaines et tout particulièrement dans les grandes métropoles qui deviennent des lieux privilégiés d’articulation avec l’économie mondiale et entrent donc en résonnance avec d’autres agglomérations mondiales.
De ce fait, elles semblent apporter une certaine sécurité du fait de leur base économique diversifiée, d’un large « portefeuille » d’activités et d’un marché de l’emploi aux gammes étendues de qualification. Ce sont les raisons de leur forte attraction démographique.
Malgré leur rôle très positif aux plans économique, social et culturel, et pour les raisons qui viennent d’être évoquées, les villes subissent de plein fouet les bouleversements qui traversent notre époque :
- développement du chômage : c’est d’abord dans les zones urbaines que se mesurent les effets des fermetures d’usines, des plans sociaux qui se multiplient à la suite de baisses d’activité voire de fermetures d’établissements industriels victimes, du moins dans les pays occidentaux, de délocalisations ; et du fait d’une immigration souvent extrêmement importante, les zones urbaines sont incapables d’offrir tous les emplois nécessaires aux nouveaux arrivants comme c’est le cas dans les pays en développement.
- dégradation des conditions de vie, mal logement, problèmes d’environnement, nature et paysages maltraités, accumulation des déchets : l’espace urbain connaît de fortes tensions et la qualité de vie en ville en souffre. Ce phénomène est particulièrement aigu dans les pays du Sud dont les grandes conurbations doivent faire face à d’énormes problèmes pour accueillir les populations migrantes qui y cherchent refuge. Les bidonvilles s’y multiplient.
Les villes européennes sont elles-mêmes confrontées à ces problèmes. Elles connaissent des difficultés de même ordre : forte consommation d’espace, dérives dans l’utilisation des ressources rares (eau, énergie, milieu naturel, etc.) et nuisances (pollution de l’air, déchets, bruit, dégradation de l’environnement, etc.). Ce sont principalement les quartiers qui connaissent les dysfonctionnements sociaux les plus aigus qui sont en même temps confrontés à ces difficultés.
Dans bien des cas, des activités passées ont des impacts négatifs : friches industrielles et pollution des sols et de nappes phréatiques, cavités souterraines créées par des mines ou des carrières (comme dans la région parisienne). Il est alors indispensable de procéder à un état des lieux, de mesurer les évolutions de l’environnement, d’informer les citoyens et de prendre des mesures de réhabilitation.
- existence et développement de poches de pauvreté dans différents quartiers ;
- naissance parfois de graves tensions sociales, conséquences des multiples visages que peut prendre la crise dans les villes.
Après les émeutes du mois de novembre 2005 dans les banlieues françaises, Mais il y a certainement une façon plus optimiste de faire face à cette crise, qui tournerait le dos au repli ou au mépris. |
Pour faire face à ces difficultés, le développement durable nous engage à prendre en compte certains principes trop peu appliqués dans l’action publique, un fil conducteur, une stratégie globale conjuguant, sur la base d’une approche démocratique de tous les instants, action économique, développement social et culturel, aménagement de l’espace et respect de l’environnement.
Ce fil conducteur, exige la conduite conjointe et continue de démarches et d’actions diversifiées, étroitement imbriquées les unes par rapport aux autres. C’est sur cette voie que peut se fonder l’avenir de nos villes appelées, sans doute, à accueillir une part de plus en plus importante de la population de la planète dans les décennies à venir. Il s’agit donc d’un enjeu particulièrement important pour le développement durable.
L’aménagement et l’urbanisme
Il nous faut repenser les formes urbaines, concevoir des villes économes en espace, en énergie, en temps de déplacements. De nombreux travaux sont engagés dans ce domaine dans plusieurs pays européens et en France.
Le concept de « ville compacte » ou « des courtes distances » qui se rapproche, de fait, de la ville traditionnelle européenne, a été développé en Allemagne. Tournant le dos à la ville des « zonages » de l’urbanisme des années soixante (délimitant et séparant quartiers d’habitat, zones d’activités, grands espaces commerciaux, services…), son but est de lutter contre l’étalement urbain et de parvenir à un système économe en espace et en énergie. Les modes de déplacements y sont repensés, des quartiers nouveaux y sont conçus avec une plus grande densité ; l’usage de l’automobile y est limité ; les transports publics et la marche à pied y sont facilités. On peut citer, parmi de nombreux exemples, les villes de Freiburg, de Munich et de Hanovre qui conduisent des politiques répondant à ces principes : densité plus grande et mixité fonctionnelle.
La « méthode ABC » aux Pays-Bas a pour objectif de privilégier la localisation des entreprises qui génèrent beaucoup de déplacements et de transports de marchandises dans des lieux bien équipés en transports publics.
La recherche de la meilleure implantation possible des futurs projets d’activités est faite à partir d’un questionnaire qui découpe la ville concernée en trois catégories :
- les zones A, jugées très accessibles ;
- les zones B à accessibilité intermédiaire ;
- les zones C surtout accessibles par la route.
Le profil de l’entreprise à localiser – nombre d’emplois, nombre de visiteurs générés, importance des transports de marchandises qu’elle suscite – est ensuite confronté à ces zones pour le choix de son implantation.
La méthode ABC, conçue en 1991, intégrée à la loi de l’Aménagement du territoire des Pays Bas (et de ce fait généralisée), a fait l’objet d’évaluations qui montrent qu’elle a abouti à des résultats relativement positifs malgré des difficultés de mise en œuvre assez nombreuses.
Elle a également été transposée et appliquée dans d’autres pays européens, notamment en Suisse dans plusieurs villes (Lausanne, Zurich, Berne et Genève).
L’idée de « La ville reconstruite sur elle-même » est implicite dans celle du développement durable. De fait, « la ville sur la ville » est pratiquée depuis toujours. Toutes nos villes européennes sont issues, depuis des siècles, d’un renouvellement permanent. Et aujourd’hui beaucoup d’entre elles fondent leurs politiques sur une reconquête de leur espace, qu’il s’agisse de friches industrielles, de quartiers dégradés, de quartiers anciens, de délaissés urbains…Les exemples européens des Docks de Londres, de Rotterdam sont à rappeler parmi d’autres.
En France, il faut citer de nombreuses procédures, démarches ou expériences des dernières décennies autour de ces mêmes idées :
Les Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat (OPAH).
De nombreux quartiers et centres anciens ont été réhabilités dans le cadre de cette procédure (créée en 1977). Les OPAH se sont progressivement adaptées autour de l’idée du renouvellement urbain et aujourd’hui du développement durable, en prenant peu à peu en compte le volet social et plus récemment les problèmes d’isolation et d’économies d’énergie.
- L’expérience fondatrice du quartier de l’Alma Gare à Roubaix, dans les années soixante-dix, qui a jeté les principes de la réhabilitation d’un quartier populaire, respectueuse de son histoire et conçue à partir d’une réflexion de ses habitants.
- Le programme « Banlieues 89 », conduit dans les années quatre vingt, en vue de réhabiliter les quartiers d’habitat social de la Politique de la Ville et du développement social urbain. De nombreux sites ont fait l’objet de travaux de recomposition, de requalification, de désenclavement dans le cadre de cette démarche historique.
- La loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU), de décembre 2000, qui a fixé un nouveau cadre institutionnel à la planification spatiale en faisant notamment référence au développement durable.
- La loi ‘Borloo’ de 2003, « d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine » qui a poursuivi les opérations de restructuration des quartiers de la Politique de la ville mais parfois d’une manière sans doute trop chirurgicale !
Un des objectifs de cette loi, pour recomposer ces quartiers, était en effet la démolition d’une part importante des immeubles collectifs (les tours et les barres !) pour les remplacer par du logement pavillonnaire ou du petit collectif. N’a-t-on pas oublié un peu vite que la banlieue a maintenant son histoire, que ces immeubles font partie aujourd’hui de notre patrimoine urbain, que plusieurs générations y sont nées et y ont grandi et que leur destruction peut être traumatisante pour ceux qui y ont vécu, d’autant que cette « rénovation » suggère qu’on va mettre à leur place, au nom de la mixité, d’autres catégories sociales ? La mixité urbaine est un bon objectif mais elle ne peut être obtenus au ‘forceps’ et l’idée du renouvellement et du remodelage urbain doit être approfondie : si dans certains cas, des démolitions peuvent apparaître comme solution à un problème de recomposition ou de désenclavement, elles ne doivent apparaître comme une fin en soi.
De fait, de très nombreuses villes mènent en France des programmes importants de recomposition urbaine, souvent liés à la mise en œuvre d’un agenda 21, d’un Plan climat ou d’opérations conduites dans une perspective de développement durable, comme c’est le cas, par exemple, pour Lille Métropole, pour Echirolles dans l’agglomération de Grenoble, pour le Grand Lyon notamment à Rillieux la Pape ou encore dans le quartier Olivier de Serres à Villeurbanne...
Les réflexions conduites en 2008 et 2009 en Région Ile de France dans le cadre de la consultation internationale « Le grand pari de la Région parisienne », à laquelle ont participé dix équipes renommées d’architectes/urbanistes, se sont focalisées sur la dimension spatiale d’une métropole « post carbone » : inventer un urbanisme « de recyclage » (Équipe AUC), penser « les villes sur les villes » (équipes Castro et Grumbach), concevoir une « métropole douce » dans une « transformation radicale de l’existant » (équipe Lin)… « Plusieurs mots, omniprésents chez toutes les équipes, résument la nouvelle manière de penser la métropole : compacité, intensification, mixité. S’y ajoute le recyclage, celui des tissus urbains, celui des fonctions, des populations et des classes sociales, de la ville et de la campagne, de la grande échelle des relations planétaires et de la petite échelle de la vie quotidienne ». [1] |
L’habitat et le logement
La qualité des logements, leur nombre, leur prix, leur localisation dans la ville, leur environnement, sont au cœur du problème social et de ce fait du développement durable.
Il faut rappeler en même temps que le parc immobilier est responsable d’une part importante des émanations de gaz à effet de serre.
En fait, le droit à un logement digne et décent et l’adaptation du patrimoine bâti aux exigences énergétiques sont étroitement liés.
Le rapport de la Fondation Abbé Pierre de 2011 estime que la crise du logement touche en France dix millions de personnes dont 3,6 millions non logées ou très mal logées et plus de cinq millions en situation de réelle précarité. Ces conditions de ‘non logement’ ou de ‘mal logement’ ont bien entendu des conséquences en termes de santé, d’emploi (comment trouver un emploi sans pouvoir faire état d’un domicile), d’éducation pour les enfants, de vie sociale…
Le même rapport estime par ailleurs que la précarité énergétique concerne 3,3 millions de ménages.
Le logement et plus généralement l’habitat concernent à la fois les problèmes sociaux (le droit au logement), l’urbanisme et les transports (économies d’espace et en même temps contribuer à organiser la ville pour que les lieux d’habitat soient en harmonie avec les lieux de travail, la localisation des services et des pôles de vie culturelle…), l’énergie (économies d’énergie et limitation des émanations des gaz à effet de serre) et l’écologie (ne pas dégrader l’environnement, être économe en eau, traiter les eaux usées, limiter le volume des déchets, etc.).
À côté de la nécessité de lancer d’importants programmes de construction de logements neufs (la Fondation Abbé Pierre estime qu’il faudrait construire 500 000 logements par an pendant plusieurs années pour combler le retard actuel), il faut aussi lancer de très vastes opérations de réhabilitation du parc ancien encore déficient en matière de confort mais surtout extrêmement mal adapté au plan énergétique.
Il faut notamment faire évoluer la procédure des OPAH pour qu’elles prennent en compte la dimension énergétique en plus des exigences de réhabilitation du bâti et du développement social. On notera que, en plus de leur participation à la lutte contre l’effet de serre, des améliorations en matière d’isolation des logements conduisent à de plus faibles consommations énergétiques et en conséquence à des baisses des charges payées, en bout de chaine, par les locataires [2].
En Allemagne, des politiques de logement ambitieuses sont menées par plusieurs villes, notamment par Francfort sur le Main, qui combinent politique énergétique (programmes de construction « d’habitat passif », c’est-à-dire non ou faiblement consommateur d’énergie) et préoccupation sociale avec la réhabilitation de quartiers populaires (prenant également en compte l’objectif de l’habitat passif). |
Les transports
Les transports et plus généralement les déplacements ont une place tout à fait centrale dans les démarches de développement durable des zones urbaines, à condition de les développer (transports de personnes et transports de marchandises), avec des préoccupations « croisées » : économes en énergie, aussi peu polluants que possibles, limitant les émanations de CO2 mais en même temps au service de la vie sociale (des transports qui desservent notamment les quartiers d’habitat social en périphérie des villes, qui soient en même temps confortables…) et de la vie économique, des transports enfin en harmonie avec les formes urbaines existantes et futures.
Au cours de la première moitié du XX° siècle, les villes françaises avaient en grande partie organisé leurs moyens de déplacement autour des transports publics : réseaux de métro à Paris, de tramways dans les autres agglomérations, en général bien adaptés aux besoins de l’époque.
Après la seconde guerre mondiale, le ‘tout automobile’ l’a emporté avec l’abandon du tramway dans la plupart des villes le remplaçant par des lignes de bus et surtout l’aménagement de l’espace public et la création de nouvelles infrastructures pour permettre l’expansion de la voiture individuelle.
Mais nos villes n’étaient pas adaptées à la circulation automobile. Elles n’étaient pas conçues pour cela et pourtant tout a été fait pendant une longue période pour tenter de la faciliter : permettre l’entrée de la voiture par des « pénétrantes urbaines », c’est-à-dire des autoroutes en ville, séparer circulation et vie locale dans les villes nouvelles ou les centres-villes, grâce à des « dalles » de béton et partout élargir les voies de circulation, le plus souvent au détriment des autres fonctions urbaines, des autres usages de l’espace public, des déplacements à pied…
Et retour de balancier, depuis quelques dizaines d’années, face à l’omniprésence de la voiture individuelle et des nuisances nombreuses qu’elle engendre, face également à la prise de conscience des limites des énergies fossiles et des conséquences de leur utilisation sur l’effet de serre, une prise de conscience se développe et de nouvelles réflexions sont engagées pour repenser ce domaine.
C’est ainsi qu’une nouvelle génération de transports en commun voit le jour : la plupart des métropoles françaises développent, soit des réseaux de métro, soit surtout des réseaux de tramway – ou de bus en site propre - qui permettent, en même temps, de desservir les zones de vie et en particulier les quartiers périphériques encore enclavés, de remodeler l’espace public, facilitant aussi les modes de déplacement ‘doux’ et la marche à pied [3] . Et on cherche parallèlement à limiter fortement la place de la voiture individuelle.
La préoccupation de la ville « post carbone » est en effet au centre des projets « transports » des grandes agglomérations urbaines.
Il faut rappeler sur ce point le très important débat qui a eu lieu en Région Ile de France à propos de son réseau de transports publics. On avait à faire à deux projets concurrents, l’un privilégiant la desserte des sites « d’excellence » au plan économique (le projet « Grand Paris » du gouvernement précédent), l’autre cherchant à desservir au plus près les zones d’habitat en même temps que les secteurs stratégiques (le projet « Arc express » du Conseil régional). Une synthèse parait avoir été trouvée entre les deux orientations initiales, même si des choix difficiles restent encore à faire sur les priorités et les échéanciers. |
L’urbanisme commercial
Allant de pair avec le développement économique et social et l’amélioration des conditions de vie des années de l’après-guerre – les Trente glorieuses – on a assisté à une transformation en profondeur du système de distribution et en même temps des modes de consommation en France. Cela s’est notamment traduit par l’apparition et la multiplication des grandes surfaces commerciales (supermarchés, hypermarchés, centre commerciaux régionaux, magasins d’usines discounts, etc.) à la périphérie des agglomérations urbaines, dont les effets pervers apparaissent aujourd’hui sur différents plans :
- consommations d’espaces, auparavant agricoles, nécessaires à l’implantation de ces nouveaux équipements ;
- intensification des déplacements automobiles des utilisateurs (on va faire ses courses en voiture en parcourant parfois des distances importantes) ;
- accélération de la disparition du commerce de proximité dans les quartiers d’habitat existants, dans les centres-villes ainsi que dans les communes périurbaines ou rurales proches ;
Certaines villes, prenant conscience des déséquilibres que ce mouvement a entrainé, cherchent aujourd’hui à fixer de nouvelles orientations à leur système de distribution en limitant le développement des grandes surfaces en périphérie, en revitalisant les quartiers anciens sur le plan des services et des commerces, en atténuant l’effet d’isolement des grandes surfaces existantes par des aménagements, la construction de quartiers d’habitat et une recomposition de l’espace périurbain.
Par ailleurs, une nouvelle loi, en cours de débat au Sénat et à l’Assemblée nationale, vise à mieux contrôler l’urbanisme commercial grâce à un Document d’aménagement commercial (DAC) strictement intégré aux autres règlementations d’urbanisme (les Plans locaux d’urbanisme (PLU) et le Schéma de cohérence territoriale (SCOT).
En réintégrant le commerce dans les compétences des collectivités territoriales à travers les documents d’urbanisme dont elles ont la maîtrise, celles-ci se verront confortées dans un domaine où les grandes enseignes ont joué pendant longtemps un rôle déterminant.
Nantes Métropole. Prenant les devants de la loi en préparation, toutes les communes de la communauté d’agglomération ont d’ores et déjà intégré une limitation des extensions de leurs grandes surfaces à 5% des superficies actuelles. |
Il faut souhaiter que ce mouvement en faveur d’une meilleure gestion de ce volet important de l’urbanisme, bien qu’encore timide, vienne corriger les errements des dernières décennies.
L’environnement
Concevoir l’avenir de nos villes en harmonie avec leur environnement végétal, respecter voire contribuer à enrichir la biodiversité de la région où elles se situent, sont des objectifs qui s’imposent dans une perspective post carbone.
Ils recoupent en partie ceux abordés dans les paragraphes précédents consacrés à l’urbanisme, à l’habitat et aux transports :
- des villes économes en espace ;
- des villes économes en eau, prenant en compte l’approvisionnement mais aussi le traitement des eaux usées, l’assainissement ;
- des villes qui organisent dans les meilleures conditions la chaine de la collecte, du tri et du recyclage des déchets urbains et industriels ;
- des villes qui luttent contre les pollutions de l’air et de l’eau ;
- des villes qui maîtrisent leurs émanations de gaz à effet de serre ;
- des villes économes en énergie et en matières premières…
La nature est partout en zone urbaine et elle « enchâsse » les villes. L’agriculture et parfois la forêt côtoient systématiquement l’urbain. Il faut en tenir compte et en tirer parti.
On constate cependant fréquemment que l’agriculture à proximité des zones urbaines ne concerne pas les consommateurs et les habitants de ces zones – les ignore en quelque sorte – pour contribuer uniquement à la production nationale et aux échanges internationaux. C’est en particulier le cas de la région Ile de France et plus généralement du Bassin parisien. On y rencontre essentiellement de grandes cultures céréalières, de betterave… Mais a contrario, l’agglomération parisienne reçoit ses fruits et légumes de différentes régions françaises, européennes voire d’autres pays dont le pourtour méditerranéen, très peu des zones agricoles qui l’entourent.
Or il n’en a pas été toujours ainsi. Au XIXème siècle, l’Ile de France était la première région horticole et maraichère de France et certaines cultures y étaient renommées [4] .
Ne peut-on pas envisager aujourd’hui de nouvelles orientations pour une agriculture de proximité qui chercherait à relocaliser les productions susceptibles de l’être autour des zones urbaines. Ceci permettrait, outre de simplifier les circuits de distribution et de limiter les transports, de rapprocher les agriculteurs et les consommateurs urbains, avec un impact social évident. De nombreuses expériences récentes, telles que les AMAP [5] vont dans ce sens et se développent avec un succès certain. Le contexte actuel est très favorable à leur essor à condition que des politiques de soutien viennent les appuyer.
La bergerie de Villarceaux. À quelques 60 km de Paris, dans le Val d’Oise, la bergerie de Villarceaux, une ferme de 370 hectares, a voulu faire la démonstration de la possibilité d’une reconversion à l’agriculture biologique d’une exploitation traditionnelle : reconstitution de 10 km de haies, redécoupage du parcellaire, variété des cultures, réintroduction de l’élevage… Avec en même temps le souci d’une démarche sociale : ouverture de la ferme au voisinage, aux randonneurs, aux chercheurs, aux naturalistes, aux chasseurs ! Une coopérative, créée pour la commercialisation des produits de la ferme/bergerie, permet une vente directe aux visiteurs. |
Il faut souligner par ailleurs que des expériences d’agriculture dans les villes sont menées dans plusieurs grandes métropoles africaines et d’Amérique du Sud en vue de répondre, en partie, aux besoins très importants en fruits et légumes des populations récemment immigrées. Un rapport récent de l’organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (la FAO), Des villes plus vertes, fait des propositions en ce sens et cite plusieurs initiatives prometteuses, notamment à Dakar, au Malawi, de même qu’à Caracas, Managua, Bogota.
Des réseaux de villes
Les villes, on le voit, sont au cœur du développement durable et leur rôle est central pour sa mise en œuvre. C’est la raison pour laquelle des démarches de coopération sont extrêmement importantes, par exemple entre villes d’un même pays mais aussi au plan international, qu’il s’agisse de relations nord/sud ou d’échanges entre villes comparables sur le plan de leur rythme de croissance ou de la situation économique des pays auxquels elles appartiennent : des programmes entre villes brésiliennes, sud africaines et indiennes paraissent par exemple particulièrement pertinents.
En France, des réseaux de villes, riches d’expériences, existent depuis longtemps mais il y a également de très nombreux ‘jumelages’ au niveau européen et à l’échelle Nord/Sud : les programmes de coopérations décentralisées qu’ils permettent sont très nombreux et sont porteurs aux plans social, économique et culturel.
Mais attention ! Il faut que les échanges qu’ils occasionnent dépassent le niveau du « folklore » comme c’est parfois le cas – même si cet aspect peut être déjà intéressant du point de vue culturel – et prennent en charge des démarches communes où se mêlent action économique, développement social et culturel, gestion économe des ressources… De très nombreux projets de coopération décentralisée, ou de co-développement, menées par exemple dans le cadre de Cités Unies France ou d’autres réseaux de villes sont à citer.
Le développement durable ne peut se concevoir en dehors de la démocratie. Une dérive « autoritaire » pour aller ‘plus vite’ vers la ville ‘post carbone’ serait en effet de mettre en œuvre les mesures nécessaires sans débat, sans participation des acteurs concernés et des habitants.
Or, sans aller jusque là, on peut constater un important déficit démocratique dans les politiques et la gestion urbaine, en particulier en France : au niveau communal mais surtout à l’échelle intercommunale qui s’est rapidement développé au cours des deux dernières décennies [6] .
La conduite des politiques locales, même si elle a été grandement facilitée par l’intercommunalité, se fait le plus souvent en l’absence de débats publics suffisants (peut-être en raison de l’absence de structures institutionnelles facilitant ces débats).
Dans ce domaine il faut cependant mettre l’accent sur beaucoup de démarches en construction, souvent expérimentales, porteuses d’avenir :
- à l’échelle la plus locale, la place de plus en plus grande que prennent les « conseils de quartier », ou d’autres structures de concertation, est à souligner : un réel courant de participation se développe dans ce cadre ;
La réhabilitation du Carreau du Temple dans le 3ème arrondissement, à Paris, a fait l’objet d’une large démarche de participation fondée sur un concours d’idées lancé auprès de la population du quartier. Il s’agissait de concevoir, dans le cadre de la réhabilitation d’une ancienne halle - construction métallique classée du XIXème siècle de type Baltard - le futur grand équipement de l’arrondissement. Les habitants et les associations étaient invités à proposer très librement leurs idées. 133 projets ont ainsi été collectés. Une exposition en Mairie d’arrondissement, présentant sous forme graphique ou rédactionnelle les différents partis, a permis à la population de juger de la variété des solutions possibles. Une « votation » finale à laquelle ont participé plus de 4000 personnes a permis de choisir le profil définitif de l’équipement à partir de trois ‘familles’ de solutions. Le nouvel équipement du 3ème arrondissement est aujourd’hui en chantier. |
- à l’échelle des grandes structures intercommunales : les Conseils économiques et sociaux ou Conseils de développement d’agglomérations s’impliquent de plus en plus. Le rôle pris par exemple par le Conseil de développement du Grand Lyon, en particulier autour du thème de l’habitat dans une perspective post carbone, est à souligner.
Mais d’une manière générale, on peut penser que le fait qu’en France, les responsables politiques des structures intercommunales (Communautés urbaines, Communautés d’agglomération, Communautés de communes) ne soient toujours pas élus au suffrage universel direct est un handicap à l’approfondissement de la démocratie locale.
Dans le même ordre d’idées, ne faut-il pas aujourd’hui repenser l’avenir de nos villes à l’aune d’une nouvelle planification. Pas une planification ‘à la soviétique’ centralisée et descendante, mais une planification fondée sur un socle démocratique et sur le principe de « la subsidiarité active » qui implique que tout ce qui peut être décidé et géré à un niveau – en commençant par le niveau local - , doit l’être à cette échelle avant de passer au niveau suivant [7] .
Il existe en France une ancienne tradition de planification urbaine - planification de l’espace surtout, avec les Schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) et les Plans d’occupation des sols (POS) devenus Plans locaux d’urbanisme (PLU) - mais ces démarches restreintes à l’organisation de l’espace urbain sont demeurées relativement technocratiques. Les pratiques qu’elles impliquent doivent être approfondies et repensées dans la perspective du développement durable.
Il faut souligner ici le rôle que pourraient avoir une relance des politiques foncières sur le long terme, allant dans le sens d’une municipalisation des sols à l’image de ce qui existe dans d’autres pays européens, la Grande Bretagne et les Pays Bas notamment. Cette idée fait actuellement son chemin en France. Dans un premier temps, il est en tout cas urgent d’organiser, avec les outils existants, une meilleure maîtrise du marché foncier par les collectivités locales, notamment dans les zones stratégiques que sont les centres ville, les quartiers d’habitat en réhabilitation ou en construction, les nœuds de transports publics…
Politique foncière L’exemple de Rennes Métropole est souvent cité. Une politique de très longue haleine a été pratiquée à l’échelle de l’agglomération. Elle a permis une planification contrôlée du développement de l’agglomération sur près de 40 ans, évitant, dans une grande mesure, l’étalement urbain que connaissent beaucoup de villes . |
Une nouvelle planification, oubliant un passé trop technocratique, construite sur des bases démocratiques nouvelles et s’inspirant de nombreuses démarches récentes, souvent inventées, à l’occasion de projets d’aménagement ou de réaménagements, par les habitants eux-mêmes.
Les territoires, et en premier lieu les zones urbaines, sont indispensables à la mise en œuvre du développement durable. C’est à leur échelle que se confrontent (ou s’affrontent) concrètement les approches économiques, sociales, culturelles, écologiques et que celles-ci doivent dépasser leurs contradictions et trouver leurs complémentarités.
La première Conférence de Rio l’avait affirmé fortement dans le chapitre 28 de son Agenda. La conférence de Rio+20, en juin 2012, l’a rappelé à nouveau dans sa déclaration finale.
Être économes en espace, en énergie, en matières premières, être peu polluantes, limitant les émanations de gaz à effet de serre, respectueuses de l’environnement naturel, pratiquant des politiques non ségrégatives et mettant en œuvre la mixité sociale, être ouvertes sur le Monde, et en même temps être au cœur de l’action économique, tels peuvent être les objectifs des villes post carbone des décennies à venir.
Avec toute leur complexité, elles sont donc un enjeu central pour le développement durable. Mais il faut, dans cette perspective, que les politiques urbaines soient fondées sur un approfondissement de la démocratie locale pour que chacun y puisse penser son avenir avec sérénité.
Jean Pierre Piéchaud
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Yannick Beltrando et Francis Rol Tanguy, Petite synthèse du grand pari(s) de l’agglomération parisienne dans « Penser la métropole parisienne », Coédition Encyclopédie du développent durable – Les éditions des Récollets et l’Harmattan, 2010.
[2] La Ville de Paris lance une OPAH expérimentale « développement durable » autour de la place de la République qui concerne les 3ème, 10ème et 11ème arrondissements.
[3] On peut citer plusieurs exemples de grandes villes telles que Nantes et Bordeaux qui ont profondément réorganisé leur espace public – et finalement modifié en profondeur leur image – grâce à leur nouveau réseau de tramway.
[4] On parle toujours des murs à pêches de Montreuil dont certains ont été conservés
[5] Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP)
[6] Depuis la loi Chevènement de 1999 relative « au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale » qui a permis le développement des Communautés urbaines, des Communautés d’agglomération, des Communautés de communes…
[7] Cf. article de Pierre Calame, Le territoire, brique de base de la gouvernance., N° (55) , Décembre 2007. Encyclopédie du développement durable
Bibliographie
- Clerc Denis, Chalon Claude, Magnin Gérard,Vouillot Hervé, Pour un nouvel urbanisme, La ville au cœur du développement durable, Editions Yves Michel, 2008
- Note de Décryptage des enjeux de la Conférence Rio+20, La Francophonie, Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie, juin 2012
- Mousel Michel, Des villes sans carbone, ni fracture, Centre international de recherche sur l’environnement et le développement, 2012, à paraître
- Penser la métropole parisienne, Plaidoyer pour un projet citoyen, égalitaire et post carbone, Coordonné par Jean Pierre Piéchaud et Ana Hours, Encyclopédie du développement durable, Coéditions l’Harmattan – Les éditions des Récollets, 2010
- Rapport 2011 et 2012 de la Fondation Abbé Pierre
* Gérard Magnin, {[ Les autorités locales sont les acteurs-clés du nouveau paradigme énergétique->107]}, n° 80, janvier 2009
* Vincent Renard, {[ Les urbanistes doivent-ils se préoccuper du développement durable ?->150]}, n°114, mars 2010
* Emmanuel Poussard, Frédéric Weil, {[Ile de France 2050 : la dimension territoriale du défi post carbone->152]}, n°116, avril 2010
* Baptiste Sanson, {[ La proximité entre l'espace rural et la métropole francilienne invite à tisser de nouveaux équilibres autour d'une agriculture citoyenne et territoriale->156]}, n°118, avril 2010
* Cyria Emmélianoff, {[Villes et quartiers durables : des liens distendus ou à réinventer ?->198]}, n° 144, juillet 2011
* Laurence Ermisse, {[La participation, la voix de tous sur la voie de l’intérêt général->252]}, n° 191, mars 2013
- info document (PDF – 632.7 kio)