Résumé
En France, toute opération d’aménagement de qualité est désormais durable, forcément durable. Cette entrée dans le langage commun de l’aménagement (quartier, cité d’affaires, zone d’activité) acte une sensibilisation publique et la mobilisation des acteurs. Le quartier durable en est le fer de lance, plus que des démarches larges et structurantes mais moins visibles (Agenda 21, Plan Climat...).
L’engouement pour le quartier durable est ambivalent, entre expérimentation locale partagée et nouvelle forme de promotion territoriale - voire de segmentation socio-territoriale. Cette ambiguïté, propre à tout mouvement émergent, fait écho aux multiples acceptions du développement durable et, en Ile-de-France, aux difficultés particulières de l’aménagement régional. Des villes, moyennes ou grandes, ont été plus précoces que cette métropole mondiale, ouverte et ségrégative, dynamique et enchevêtrée, mobile et engorgée, intense et tendue (prix, compétition territoriale, différentiels socio-territoriaux, crise du logement, etc.). Elle est complexe, sa gouvernance aussi, et les contraintes pour l’aménagement sont fortes.
C’est dans ce contexte qu’émerge depuis 2009 une première génération de projets de quartiers durables, à la faveur de deux démarches parallèles : l’appel à projets national pour des Eco-quartiers et Eco-cités (qui réfère aux engagements du Grenelle de 2007) et celui de la Région pour des Nouveaux quartiers urbains (NQU), déclinant un SDRIF (Schéma directeur de la région Ile de France) à forte connotation durable, révisé de 2004 à 2008. Soit, au total, une soixantaine de projets candidats sur 2009-10, dont un tiers de lauréats.
Ce panel, par sa richesse et sa variété, renseigne sur l’état des choses durables franciliennes, les voies de la mutation et de l’innovation, les risques, les difficultés au regard des enjeux franciliens. Son analyse montre aussi les dessous de la fabrique métropolitaine : face à une injonction à innover, où en sont les moyens et modalités de projet, les systèmes et stratégies d’acteurs, les métiers, compétences et outils ? Où il apparaît que l’objectif social tient beaucoup à la faisabilité de la conception durable et à la gestion de son équilibre financier. Une nouvelle face de la question sociale est, en effet, le partage général des aménités durables.
En quoi le développement durable renouvelle-t-il l’approche du projet à l’échelle du quartier ? La posture est-elle nouvelle, par la contextualisation, l’articulation des échelles, la capacité de diffusion et donc d’influence non pas ponctuelle mais structurelle ? Que portent ces premiers projets, en termes de nouvelles aménités, de remèdes aux maux métropolitains ? Quelle(s) vision(s) de la métropole durable préfigurent-ils ? Quels chemins ouvre la technicisation de l’aménagement durable partagé ?
Auteur·e
Architecte, docteur en géographie de l’aménagement, ingénieur en chef des collectivités territoriales .
Urbaniste à l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme IAU - Ile-de-France, en charge (au Département Planification et aménagement durable) des questions métropolitaines et de l’aménagement durable.
A notamment coordonné l’appui de l’IAU pour l’élaboration, le suivi et un premier bilan des appels à projet pour des nouveaux quartiers urbains, réalisé un état régional de la « croissance verte » pour l’OCDE, travaille sur la gouvernance, la fabrique métropolitaine, les stratégies territoriales.
A monté et anime depuis 2007 le Club des aménageurs franciliens, qui confronte enjeux régionaux et réalités opérationnelles et observe l’évolution des pratiques de l’aménagement en Ile-de-France (sessions sur les quartiers « durables » existants, l’aménagement durable, la programmation des logements, les PME en zone dense, les quartiers de gare, les lieux de l’innovation).
- Avant-propos
- De Trilport à Paris, l’émergence des quartiers durables franciliens
- Approche globale et performance technique dans l’aménagement durable
- Métiers et cultures de l’ingénierie de projet, entre technique et sociétal
- Les quartiers durables face à l’enjeu social métropolitain
- De la mixité à l’urbanité dans la métropole
- Anciens et nouveaux débats
Le Vorarlberg, Friburg, Bedzed, Malmö ou …Dubaï sont devenus des classiques de l’aménagement durable. En France, hormis à Grenoble, Nantes et Lyon (programme européen 2002-06 sur les économies d’énergie), autour de Rennes et de Lille dès 2002, peu de réalisations sont visibles. Mais, en 3 ans, les projets de quartiers durables ont fusé, propulsés par des appels à projets publics, portés aussi par des aménageurs privés : outre le résidentiel, une charte des cités d’affaires mondiales durables a été établie à la Défense en 2008, des zones d’activités sont labellisées (Sénart, la SILIC à Orly-Rungis). La mobilisation converge sur cet objectif durable mais pour des motifs et par des chemins très divers.
On y reconnait l’effet des normes environnementales du bâtiment (depuis 1975, premier choc pétrolier), qui technicisent et quantifient l’approche durable, mais aussi d’un cadre national mis en place, à la suite de l’Europe pour les collectivités locales : loi Voynet en 1999 (Agendas 21), Ministère et plans locaux d’urbanisme (PADD) qualifiés de durable en 2000, Plan-climat national en 2004, programme de recherche Ville durable en 2004-06, lois Grenelle de 2009 et 2011. En marge de l’impact médiatique du Grenelle de l’environnement en 2007, ces démarches institutionnelles font évoluer la culture administrative et technique. Les grands groupes de l’industrie ou des services urbains ont aussi compris la nécessité d’anticiper l’évolution des marchés. C’est dans ce contexte que les quartiers durables commencent à porter un message familier, dans l’espace vécu.
L’Ile-de-France s’y met aussi, 85 Agendas 21 sont actifs ou en cours en 2010, 2 Plans Climat-Energie sont bouclés (Paris, puis la Région), plusieurs sont en cours (Essonne, Val-de-Marne, Plaine Commune…). Le projet de SDRIF révisé (2004-2008) a territorialisé un développement durable régional, Paris concrétise une stratégie structurée, la consultation internationale du Grand Pari(s) post Kyoto, lancée par l’Etat fin 2007, a illustré la thématique durable (souvent loin du projet du Grand Paris). Tout ceci a alimenté un large débat d’experts - et, pour partie, grand public - sur la métropole durable, et forme cadre pour l’expérimentation locale.
Plan-climat de Paris |
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Le Plan-climat de Paris, étudié de 2007 à 2011, vise à réduire de 75% les émissions de gaz à effets de serre entre 2004 et 2050 et réduire de 30% d’ici 2020 la consommation énergétique du parc municipal par : véhicules hybrides et autres actions sur la flotte municipale, Autolib (après Vélib), isolation thermique renforcée des bâtiments municipaux et du parc social, aides aux particuliers avec les professionnels du bâtiment, production de déchets réduite de 15% d’ici 2020, 2 millions d’arbres plantés. |
L’appel à projet de l’État pour Eco-quartiers et Eco-cités en 2009 (2e session en 2011) a coïncidé avec celui de la Région pour des Nouveaux quartiers urbains (NQU, sessions 2009, 2010 et 2011), quartiers durables franciliens qui déclinent localement l’esprit durable du SDRIF. Démarches déconnectées, du fait du conflit Etat – Région sur le SDRIF (bloqué par l’Etat en 2008, relancé en 2011 après des négociations sur le projet du Grand Paris), sur les mêmes objectifs généraux mais selon des approches spécifiques. Le succès est net, 60 [1] projets NQU en 2009-10 (17 pour la session en cours en 2011) et 18 lauréats ; 9 candidats franciliens Eco quartiers et Eco cités 2009 (dont 7 candidats NQU) et 4 lauréats (1 lauréat NQU).
Dans une grande variété de situations et de moyens, la mobilisation pour les NQU a été générale, de Paris à la grande couronne, de la Seine-Saint-Denis (14 projets) aux Yvelines ou au Val-d’Oise (2), avec des villes de toutes tailles (de 4900 habitants à 2,2 millions), des communautés d’agglomération, des EPA (Etablissements Publics d’Aménagement créés par l’Etat sur des sites stratégiques) et SAN (Syndicat d’Agglomération Nouvelle en ville nouvelle). 60 projets qui dessinent l’état des lieux francilien et l’impact de l’impulsion publique.
Le recyclage d’opérations des années 1990-2000 en difficulté (complexité, handicaps divers) a été massif (50% des projets candidats), quelques lauréats ayant bien réussi leur mue durable (Montreuil, Saint-Ouen, Brétigny, Ris-Orangis, etc.). Une nouvelle génération monte en 2010, avec des projets d’emblée conçus comme durables, petits et économes (Chevilly-Larue) ou denses et très instrumentés (deux projets parisiens). Le simple attrait du « label » sans implication forte est aussi perceptible, les réponses sont inventives ou stéréotypées, mais ce point de départ illustre l’acculturation en cours (au-delà des lauréats), dans une maîtrise encore incertaine des nouvelles logiques de système dans les projets.
Carte et liste des premiers quartiers durables franciliens (appels à projet NQU et Eco-quartiers 2009-10)
CG | Ville / CA | 1 | 2 | q/c | 57 projets NQU (lauréats/bleu), 9 Eco-quartiers & cité (Q/C, lauréats/gris [2] ) | |||||||||
75 | Paris 17 | o | 91 | Grigny | o | 93 | Noisy-le-Grand | o | ||||||
Paris 19 | o | Massy | o | o | Noisy-le-Sec | o | ||||||||
Paris 20 Fréquel | x | Palaiseau | o | o | Pantin | o | ||||||||
77 | Bussy-s-G | o | o | Ris-Orangis | o | Pierrefitte,SD St. |
o | x | ||||||
Cesson+VsD | o | Tigery | o | Romainville | o | |||||||||
Chelles | o | Vigneux | o | Rosny-s-Bois | o | |||||||||
Claye-Souilly | o | 92 | Clamart | o | St-Denis (CA) | o | ||||||||
Ferté-s-Jouarre | o | Clichy-la-G | o | St-Ouen | o | x | ||||||||
CA M&Gondoire | o | Clichy-la-G | o | 94 | Chennevières | o | ||||||||
Meaux | o | x | Colombes | o | Chevilly-la-rue | o | ||||||||
Montévrain | o | x | Issy-les-M | o | Choisy-le-roi | o | ||||||||
Torcy | o | Issy-les-M | o | Ivry-sur-Seine | o | |||||||||
Trilport | o | Nanterre | o | Limeil-Brévannes | o | |||||||||
78 | Carrières-s-P | o | x | Sceaux | o | Vitry-sur-Seine | o | |||||||
St-Cyr | o | 93 | Bobigny | o | 95 | Argenteuil | o | |||||||
Mantes-la-Ville | x | Bondy | o | Bessancourt | o | |||||||||
91 | Athis-M+Juvisy | o | La Courneuve | o | Garges-les-G | o | x | |||||||
Bondoufle | o | Ile-S-Denis (CA) | o | x | Louvres+ Puiseux |
o | x | |||||||
Brétigny-s-Orge | o | Montreuil | o | Pontoise (CA) | o | |||||||||
Corbeil-Essonne | o | Neuilly-s-Marne | o |
Des 2 appels à projet en Ile-de-France, l’un est régional, plus proche et incitatif (négociation pour optimiser les projets, accompagnement et financement), l’autre, national, est plus lointain (mais aide méthodologique aux EPA par l’Etat régional, club national) et normalisé (référentiel, projet de label national à l’étude). Les Eco quartiers, classés en 7 thèmes environnementaux (eau, déchets, biodiversité, mobilité, sobriété énergétique et énergies renouvelables, densité et formes urbaines, éco-construction), réfèrent à une grille détaillée sur environnement, économie et social (avec indicateurs, dans le référentiel régional). Les NQU, Les NQU, plus nombreux, doivent articuler 5 thèmes plus qualitatifs, déclinés en 17 items illustratifs.
Les NQU franciliens, 5 familles de critères |
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I. AFFIRMER LA COHERENCE TERRITORIALE
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II. REPONDRE A LA CRISE DU LOGEMENT
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III. ORGANISER LA MIXITE DES FONCTIONS URBAINES ET LA COMPACITE
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IV. METTRE LA QUALITE ENVIRONNEMENTALE AU COEUR DU PROJET
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V FAIRE EVOLUER LES MODES DE FAIRE ET LES PRATIQUES URBAINES
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Cette modulation des approches, plus technique et axée sur la performance ou croisant des thématiques plus qualitatives, montre que des voies différentes peuvent conduire in fine à une même qualité des projets lauréats (Fréquel Fontarabie, Eco-quartier du 20e arrondissement). Elle illustre la diversité des acceptions successives de l’aménagement durable, où la figure des 3 piliers du développement durable (environnemental, social, économique), qui a inspiré les Agendas 21 et le SDRIF, est maintenant surplombée par l’urgence climatique et énergétique. En Ile-de-France, des enjeux très prégnants (crise qualitative et quantitative du logement, différentiels socio-économiques, compétition et segmentation territoriale, pression sur les ressources naturelles, etc.) appellent des réponses globales et vite complexes. Leur agencement est difficile mais nécessaire, même à l’échelle d’une opération. Ceci requiert une instrumentation que les porteurs de projet local n’ont pas toujours (problème structurel de gouvernance en Ile-de-France).
En outre, la forte composante technique de l’aménagement durable réclame une ingénierie et une technologie adaptées, alors que l’économie « verte » balbutie encore, en France et en Ile-de-France. La réglementation thermique contraint le bâti à la performance durable dans l’habitat, les équipements et les bureaux. Dans un quartier, une difficulté supplémentaire est que l’aménagement réfère à un système (assainissement, approvisionnement énergétique, mobilité, etc.), qui s’accommode mal d’une échelle réduite et d’un périmètre clos. Même si les solutions alternatives sont décentralisées, elles doivent s’insérer dans des logiques larges pour être performantes, s’appuyer sur des diagnostics élargis et des principes préalables, surtout en cas de fortes contraintes physiques et fonctionnelles (pollutions, fragilité des sous-sols et du socle naturel, hyperdensité, etc.).
Le panel montre un fort investissement environnemental (2/3 des projets), avec toute la panoplie des solutions alternatives (noues pour assainissement en aérien, toitures végétalisées, panneaux solaires, chaufferie bois, géothermie, etc.), recherche d’innovation qui présente aussi l’avantage d’être visible. Les logiques de système et d’économie globale sont encore rares dans les projets, avec contextualisation des choix techniques (études lourdes en amont, adaptation différentielle aux contraintes), arbitrage entre objectifs techniques (compétition fréquente en toiture entre végétal et panneaux), approche des coûts (gestion induite, viabilité à long terme) et inscription territoriale élargie (géothermie).
L’évolution des pratiques de projet des donneurs d’ordre et des aménageurs sera un facteur décisif de la performance technique et sociale. Nouvel agencement des métiers (architecte / AMO durable - assistance à maîtrise d’ouvrage -), capacité d’arbitrage politico-technique, méthodes et outils : une culture et une ingénierie que beaucoup n’ont pas encore. Paris, comme ses SEM et ses maîtres d’œuvre, dispose d’une instrumentation puissante, administrative, technique et architecturale. Chevilly-Larue, petite commune du Val-de-Marne, restructure un site d’habitat social en jouant souplement sur l’orientation des bâtiments, l’isolation et la simulation performancielle pour moduler des charges locatives supportables.
La diversité des méthodes, la non-reproductibilité des solutions, laissent entrevoir une convergence des cultures de projet (sobriété, souplesse, intelligence numérique) pour une attention à l’équité sociale finale des dispositifs techniques (des charges locatives supportables) : une négociation fine du projet permet de gérer les impératifs sociaux. Nombre de bilans énergétiques de bâtiments BBC ont montré aussi l’impact des usages sur les performances techniques réelles. Ainsi, des bailleurs sociaux (soutenus par des aides régionales aux économies d’énergie) étudient le rapport optimal coût / charges selon leurs sites et font de la pédagogie auprès des habitants.
Partager avec les habitants les logiques de l’économie générale d’un projet, une piste pour réinventer la concertation avec les habitants (fréquente dans les projets mais assez traditionnelle) ? C’est sur le critère des nouvelles pratiques que les projets sont les moins performants (6 projets très inventifs, un bon tiers parfois sans proposition), alors qu’elles conditionnent clairement la capacité effective de diffusion de l’innovation.
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Les quartiers durables, avant-scène d’une révolution des pratiques et des métiers de l’aménagement, enjeu d’une nouvelle intelligence de projet ? Ce serait une excellente nouvelle pour une région qui souffre d’une gouvernance souvent communale, peu adaptée aux enjeux métropolitains. Les collectivités supra-locales font leur mue durable (expertise reconnue de la Seine-Saint-Denis en matière d’assainissement), les projets gagneraient beaucoup à un lien renforcé avec elles, à des fonctions de régulation qu’elles pourront seules assumer : ressources naturelles (la géothermie coûte cher, l’exploitation d’une nappe ne dépasse pas 50 ans), systèmes décentralisés, financements, articulation entre acteurs publics et privés. Bon chantier pour une métropole collaborative, à l’encontre des logiques de compétition, de segmentation et de localisme...
La métropole francilienne, comme toutes les villes-mondes, voit ses différentiels socio-territoriaux s’aggraver. Outre les extrêmes d’un spectre social très étiré, les couches moyennes, nombreuses et souvent qualifiées (mais 70% de la population est éligible au logement social), sont prises dans une spirale de segmentation que renforcent les prix de l’immobilier. Dans ce contexte, à qui s’adressent les quartiers durables franciliens, quel rôle jouent-ils dans les politiques de peuplement et de développement ?
Ils apparaissent plutôt dans des villes populaires, aguerries dans la solidarité et la restructuration urbaine (58% sont dans des villes à population assez pauvre, souvent avec plus de 30% d’habitat social, beaucoup sont actives en politique de la ville). Moins de 10% sont dans des villes à population assez aisée [3] et sous les 20% requis par la loi SRU. Certaines (Paris, proche couronne) sont fiscalement riches, avec des populations pauvres. Le quartier durable prolonge cette dynamique (particulièrement en zone dense), peut en être l’unique manifestation dans de petites villes plus excentrées. L’ingénierie durable requiert aussi des moyens publics (qu’apportent parfois EPA ou intercommunalités). 58% des projets sont dans des villes à potentiel fiscal limité [4] (un lauréat, Trilport, à très faible potentiel fiscal) mais le taux de réussite est supérieur dans les 30% les plus riches.
L’appel à projet NQU pose l’obligation de logement social et donc d’une mixité qui inclut des familles modestes. Les collectivités les plus performantes (surtout en zone dense) en sont déjà bien pourvues. Paris fait un effort social exceptionnel mais au détriment de l’offre intermédiaire. Certains tentent aussi l’accession aidée (Ivry, etc.), d’autres (ville nouvelle, Essonne) préférant le logement social dé-normé (étudiants, personnes âgées) au logement social familial. Les plus pauvres sont rares dans les programmes : une résidence sociale à Trilport, le relogement de gitans à Montreuil (application locale d’une politique communale très active sur le multiculturel), un relogement social massif mixé avec de nouvelles couches moyennes à Chevilly Larue. En grande couronne (10 projets en Essonne et en Seine-et-Marne), l’immobilier moins cher attire les couches moyennes, un projet neuf pouvant servir le repositionnement territorial d’une ville. Mais cette cible est générale, sachant la forte demande régionale (peu de locatif accessible). On perçoit ici et là des logiques d’évitement et d’attractivité sélective, qu’expliquent les tensions sociales, exacerbées en Ile-de-France, et les quartiers durables pourraient bien alimenter le délitement socio-spatial de la métropole. La tendance n’est pas majoritaire (stratégie de grande mixité à Montreuil, Saint-Ouen, etc.), mais la question-clé est : l’aménagement durable va-t-il pouvoir concerner toute la population et pas seulement quelques quartiers vitrines ?
Dans les projets candidats NQU, l’effort de mixité va souvent avec une segmentation spatiale, entre populations, entre fonctions, surtout en grande couronne. Le lotissement pavillonnaire y reste prégnant, avec un contraste parfois préoccupant entre des centres faibles et de vastes extensions périphériques plus ou moins bien desservies (Louvres-Puiseux, etc.). Tension entre un enjeu quantitatif et une fragilité métropolitaine générique, le déficit d’intensité urbaine de nombre de petites villes franciliennes. L’urbanité de périphérie reste à inventer, c’est un enjeu de la métropole durable, qui interroge autant les formes urbaines que la sociologie des modes de vie de ces résidents du grand large - réflexion encore peu présente dans les projets -.
En matière de « cohérence territoriale », 1/4 projets sont performants, 1/3 sont faibles, ce qui montre la difficulté, en Ile-de-France, à se penser partie d’un tout, et pas seulement en grande couronne. Enfermement sur le périmètre opérationnel, faible insertion dans un territoire élargi, ces attitudes courantes pénalisent le positionnement territorial des projets. Alors que 50% des projets sont ou seront des quartiers de gare ou proches d’une université, 30% sont dans des zones tertiaires et 4/5 dans des sites stratégiques, la programmation est, sauf exception, peu mixte fonctionnellement et d’échelle rarement métropolitaine (activité économique, économie résidentielle, équipement, densité, etc…).
Les projets sont souvent communaux, voire micro-locaux, des projets voisins s’ignorent. Ce sont autant de marques du retard d’une conscience métropolitaine en gestation et d’une ingénierie de projets et de commande publique qui peine à intégrer des données exogènes. Pourtant, 50% sont portés par des intercommunalités, 12 par des Etablissements publics. Les relais locaux de la planification territoriale régionale sont insuffisants (peu de SCOT et PLH intercommunaux). Un autre chantier métropolitain auquel pourront contribuer les quartiers durables, renouveler les approches programmatiques...
Quartier-modèle ou ville durable partagée ?
Le quartier durable expérimente-t-il une nouvelle fabrique urbaine qui se diffusera, s’adaptera à des contextes moins favorables, des situations urbaines ou sociales moins en vue ? Est-il un « coup », dans une stratégie de repositionnement territorial ? Les projets sont trop peu avancés pour faire voir leur capacité de diffusion mais ce premier panel francilien montre que manquent parfois la volonté politique (au-delà du quartier-vitrine) et souvent les moyens de faire à coûts maîtrisés, pour des opérations à terme banalisées. Les projets s’amélioreront aussi par l’intercommunalité et la qualification des niveaux supra-locaux, pour transformer une performance micro-locale en efficacité territoriale. On suivra avec intérêt une Eco cité comme ViaSilva 2040 à Rennes (ville durable aguerrie) et la progression, dans les futurs quartiers durables franciliens, d’une « cogénération locale » que favorisent la densité et la diversité métropolitaines.
Label / no label
L’impulsion de l’Etat reste déterminante pour diffuser les politiques durables. En Ile-de-France, le relais territorial est bien engagé. Alors que s’achève en 2011 la 2e session des Eco-quartiers (selon un référentiel actualisé), l’État envisage maintenant un label national. A rebours des pays plus avancés dans l’aménagement durable, qui ont parié non sur une normalisation nationale mais sur la diversité des initiatives territoriales. L’adaptation localisée des systèmes d’acteurs, des méthodes et objectifs, favorise même l’hybridation des projets (en Suisse ou en Finlande, couplage avec l’économie innovante). On peut donc s’interroger sur l’efficacité d’un label, surtout si la gestion de la « marque » devait être externalisée et exogène (label annuel et payant, qui autofinancerait des certificateurs dédiés à l’évaluation). Il y aurait risque de « marchandiser » l’expérimentation (effet promotionnel, faible impact d’un retrait du label en cas de manquement), de focaliser sur la performance technique du quartier au détriment d’une irrigation des politiques territoriales et de leur ingénierie (si décisive pour un bénéfice partagé de l’aménagement durable). Espérons que la concertation en cours débouchera plutôt sur une co-élaboration décentralisée, où l’Etat et les collectivités supra-locales associeraient leurs compétences et leurs moyens. Comme on aurait aimé le voir en Ile-de-France…
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] En réalité 57 sans doubles comptes, 3 s’étant représentés en deuxième session,
[2] 9 candidats franciliens = 3 lauréats Eco-quartiers et 1 Ecocité, 5 suivis sur 18 mois
[3] Plus de 2000 euros de revenu médian mensuel, la catégorie précédente étant plus de 1350 euros.
[4] 800 à 1200 euros par habitant ; aucun projet dans des villes à plus de 3000 euros / h.
Bibliographie
Travaux récents de l’auteur sur le sujet
- Verbatim 5, « la durabilité au cœur de la conception » (actes de la séance du club des aménageurs franciliens de 2010) www.iau-idf.fr
- Article sur la consultation du Grand Pari(s), Cahier de l’IAU n°151 Stratégies métropolitaines, juin 2009
- Synthèse sur l’état de la « croissance verte » en Ile-de-France, pour une étude comparative de l’OCDE sur diverses métropoles mondiales, IAU-IdF, 2011
Bibliographie récente
- Urbanisme n°348, Eco quartiers, 2008
- Lucile Mettetal, « Le parc francilien, enjeux énergétiques dans l’habitat et le tertiaire , in Cahier de l’IAU-IdF n°147, Contraintes énergétiques et mutations urbaines, février 2008
- Taoufik Souami, « Eco quartiers, secrets de fabrication », Carnets de l’info, Paris 2009
- Traits urbains n° 28, attention éco quartiers !, 2009
- Catherine Charlot-Valdieu, Philippe Outrequin, « L’urbanisme durable : concevoir un éco-quartier », 2009, Editions du Moniteur
- Cyria Emelianoff , Ruth Stegassy, « Les pionniers de la ville durable, récits d’acteurs, portraits de villes en Europe », mars 2010
- Recherche « EUCO² » sur des métropoles européennes, dont l’Ile-de-France, Metrex, 2011
- Yves Bonard, Laurent Matthey, « Eco-quartiers, laboratoires de la ville durable, changement de paradigme ou éternel retour du même ? », http://cybergeo.revues.org/
- info document (PDF – 758.9 kio)